L’Asie du Sud Est, une région contrastée dans le collimateur des militants abolitionnistes


3 février 2012

En ce début d’année 2012, l’Asie du sud-est confirme son statut de région phare sur la scène internationale: elle continue d’attirer les investissements du monde entier, organise de plus en plus d’événements culturels majeurs et voit défiler bon nombre de délégations ministérielles occidentales soucieuses de consolider leurs relations diplomatiques. Ce dynamisme s’explique notamment par la constitution en 1967 de l’ASEAN (ou ANASE : Association des nations d’Asie du sud-est) qui compte désormais 10 pays membres (voir tableau). Cet ensemble étant caractérisé par une très large diversité ethnique, religieuse, culturelle, économique ou politique, la mise en œuvre d’une organisation de coopération régionale a effectivement permis d’instaurer un contexte pacifique propice à des avancées rapides. Mais si la région a globalement progressé sur le plan économique et limité la pauvreté, la situation des droits de l’homme demeure préoccupante et l’Asie du Sud-est continue d’être le théâtre de nombreuses condamnations à la peine capitale, voire d’exécutions.

Champ d’application de la peine de mort

La peine de mort s’applique à différentes situations juridiques en fonction des pays qui la pratiquent ; on peut néanmoins observer une tendance générale. Pour les crimes de droit commun, les principaux chefs d’inculpation des pays rétentionnistes sont : les homicides, les vols aggravés, le trafic d’armes ainsi que le trafic et la possession de drogue, pour lesquels les condamnations sont de plus en plus nombreuses. Les crimes intentés à l’encontre de la nation comme le terrorisme et la trahison sont également passibles de peine capitale.

Pays de l’ASEAN Situation relative à la peine de mort Sentence : obligatoire ou à la discrétion des juges ?
Mode opératoire
Nombre de condamnés dans les couloirs de la mort Nombre de personnes exécutées en 2011 Vote relatif à la résolution des Nations unies appelant à un moratoire mondial contre la peine capitale (21 décembre 2010)
Brunéi Darussalam Abolitionniste de fait Obligatoire pour la plupart des incriminations
Pendaison
38 0 (dernière exécution recensée en 1996) Vote défavorable
Cambodge Abolitionniste de droit Aucune 0 0 (abrogation de la peine de mort en 1989) Vote favorable
Indonésie Rétentionniste A la discrétion des juges
Fusillade
87 (dont 50 pour crimes liés au trafic de drogue) 0 (dernière exécution recensée en 2008) Vote défavorable
Laos Abolitionniste de fait Obligatoire pour terrorisme et possession et trafic de drogue
Fusillade
0 0 (dernière exécution recensée en 1989) Vote défavorable
Malaisie Rétentionniste Obligatoire pour trafic de drogues
Pendaison
Entre 500 et 700 0 (dernière exécution recensée en 2002) Vote défavorable
Myanmar Abolitionniste de fait Obligatoire pour meurtre et possession et trafic de drogue
Pendaison
0 (le 16 mai 2011, les 235 condamnations à mort ont été commuées en détention à perpétuité) 0 (dernière exécution recensée en 1988) Vote défavorable
Philippines Abolitionniste de droit Aucune 0 0 (abrogation de la peine de mort en 2006) Vote favorable
Singapour Rétentionniste Obligatoire pour terrorisme, meurtre, trafic de drogue, piraterie
Pendaison
Au moins 9 (certainement bien plus) 0 (dernière exécution recensée en 2009) Vote défavorable
Thaïlande Rétentionniste A la discrétion des juges
Injection létale
840 0 (dernière exécution recensée en 2009) Vote défavorable
Vietnam Rétentionniste A la discrétion des juges
Injection létale et fusillade
Environ 340 Absence de donnée (exécutions tenues sous secret d’Etat) Abstention

Sources : Amnesty International; deathpenaltyworldwide.org; câble diplomatique révélé par Wikileaks (Brunei), brudirect.com, thejakartaglobe.com

NB : ces estimations chiffrées sont difficiles à établir en raison d’un manque de transparence inhérent à l’application de la peine capitale au sein de régimes autoritaires qui l’utilisent comme un outil de répression politique

Un pas en avant, deux pas en arrière !

La situation actuelle présente une forte ambivalence. L’ASEAN, au sein de laquelle des démocraties comme la Thaïlande et les Philippines côtoient des régimes autoritaires liberticides tels le Laos ou le Vietnam, s’est en effet dotée d’une Charte fondamentale -à valeur juridique contraignante- en juillet 2008. Dans son préambule, celle-ci annonce l’adhésion de l’organisation aux principes de respect et de protection des droits humains et libertés fondamentales : le droit à la vie étant le droit premier de tout individu, cette évolution est encourageante pour le combat abolitionniste dans la région ! En outre, la Charte consacre la naissance d’une Commission des droits de l’Homme de l’ASEAN, démarche novatrice dans l’espace asiatique. Cependant, les textes présentent d’emblée des lacunes importantes : aucune voie de recours n’est offerte aux ressortissants des pays de l’ASEAN, la Commission n’a pas le pouvoir d’enquêter sur les cas de violation des droits fondamentaux et rien ne laisse penser que cet organe soit particulièrement actif puisque ses membres -un délégué par État- procèdent directement du choix des gouvernements. Si l’on perçoit donc des avancées notoires dans l’esprit de l’organisation et si l’effet d’entraînement initié par certains État est remarquable, les ressortissants des pays membres de l’ASEAN ne peuvent pas encore compter sur celle-ci pour les investir de droits effectifs. L’ancien premier ministre thaïlandais Abhisit Vejjajiva avouait en ce sens qu’il espérait dans un premier temps que tous les membres soient désormais « attentifs à la question des droits de l’homme » et que celle-ci « [devienne] partie intégrante au sommet de l’ASEAN », concédant que l’ensemble du groupe « [doit] continuer à essayer de faire des progrès ».
Par ailleurs, dans le cadre de l’intensification d’une lutte coordonnée contre la culture et le trafic de stupéfiants sur leur sol, les pays de l’ASEAN se sont engagés dans des reformes pénales rigoureuses –la lutte contre le narcotrafic par l’application de la peine capitale fera l’objet d’un dossier dans notre prochaine newsletter.

Une société civile active

Il existe des mouvements abolitionnistes relativement actifs malgré le manque de liberté manifeste dans certains pays de l’ASEAN, notamment par le biais de blog abolitionnistes sur internet. Par ailleurs, l’Anti Death Penalty Asian Network, basé à Londres en lien avec Amnesty International, coordonne l’action de ses 51 membres (particuliers et associations) depuis 2006. L’Indonésie connait quant à elle un combat abolitionniste particulièrement actif, mené notamment par des magistrats qui plaident pour une reconnaissance de l’inconstitutionnalité de la peine capitale dans leur pays.

La voie est ouverte mais un long chemin reste à parcourir !

La problématique de la peine de mort dans les pays de l’ASEAN est complexe et, en plus de concerner des pays bien différents, elle se conjugue avec d’autres enjeux tels l’inhumanité des conditions carcérales dans les couloirs de la mort de pays abolitionnistes de fait (à l’instar de Brunei) ou l’exécution d’étrangers (sujet qui fait polémique, notamment à Singapour). Mais le volontarisme de certains pays semble propice à faire évoluer progressivement la situation. Les propos que confiait encore Abhisit Vejjajiva reflètent d’ailleurs clairement la complexité d’un tel processus « Ce qui est important est de démarrer. Cela peut être lent au départ mais l'approche graduelle peut fonctionner mieux à long terme. Parce que si vous essayez de faire passer de force certains changements là où il continue d'exister une grande diversité, et que cela devient inacceptable, alors vous chutez et vous devez tout recommencer. Et cela sera beaucoup plus difficile de recommencer la seconde fois. »

Un Français dans les couloirs de la mort à Jakarta : Serge Atlaoui, condamné en 2007 à la peine capitale, risque d’être fusillé et compte sur le soutien de la France pour obtenir la grâce du président indonésien.


Julie Prêtre