Le scandale du trafic d’organes en Chine
7 décembre 2012
La tradition chinoise veut qu'un mort soit enterré sans mutilation, et très rares sont les Chinois qui acceptent le prélèvement d'organes lorsqu'un membre de leur famille décède. Très peu de volontaires pour faire un don de leur vivant à un membre de leur famille. Sur le « marché » chinois des organes, l’offre est très faible. La demande, par contre, est très forte. Plus d'un million et demi de Chinois sont en attente de greffe, et chaque année 10 000 d’entre eux voient leur vœu exaucé. Auxquels il faut ajouter les patients étrangers.
En novembre 2011, la police coréenne a mis fin aux activités d’une bande qui avait procuré des organes à 94 patients souffrant d'un cancer du foie. Afin de contourner l’interdiction (depuis 2007), les patients sont introduits en Chine continentale avec de faux papiers d’identité chinoise. Plus généralement, considérant que les donneurs chinois n’ont pas donné leur consentement ou que celui-ci ne peut être documenté, les recommandations des militants des droits humains aux gouvernements étrangers sont les suivantes : l’adoption d’une législation extra-territoriale qui criminalise la complicité dans les abus de transplantions d’organes à l’étranger ; Rendre compte systématiquement des transplantions d’organes à l’étranger ; interdire le remboursement des transplantations réalisées en Chine par les systèmes d’assurance santé.
Les transplantations d’organes sont devenues un business lucratif, avec des pourvoyeurs plus ou moins lésés, des intermédiaires sans scrupules, des centres spécialisés et des « parrains » bien protégés.
Des pourvoyeurs volontaires pour de l’argent
En avril 2012, l’histoire d’un lycéen qui avait vendu un rein pour s’acheter l’iPad de ses rêves avait défrayé la chronique. Jeunesse urbaine contre commerce sordide, modernité et Moyen-âge, les Chinois avaient replongé dans les rudes périodes où de pauvres paysans étaient conduits aux dernières extrémités, lors des disettes. Le jeune homme de 17 ans s’était vu promettre 3500 euros. De nos jours, les candidats sont généralement recrutés sur internet et toujours opérés dans le plus grand secret.
En août 2012, la police avait démantelé un réseau impliquant 137 personnes dont 18 médecins et couvrant 18 provinces. L’opération avait permis de «sauver» 127 personnes qui s'apprêtaient à céder un organe pour de l'argent, selon le site du ministère de la Sécurité publique.
Les condamnés à mort, pourvoyeurs malgré eux
Selon les statistiques officielles, fin 2009, 65 % des organes provenaient de personnes décédées, dont 90 % de condamnés à mort. 35 % étaient le fait de donneurs vivants.
Le ministère de la santé reconnaît qu’un système basé sur des organes provenant de condamnés à mort n'est « ni éthique ni viable », et devait être réformé. L’objectif est « de renoncer à la dépendance à l'égard des organes de condamnés exécutés » dans les cinq ans. Un nouveau système, testé depuis deux ans dans 16 régions, devrait prendre une dimension nationale début 2013 : il est géré par la Croix-Rouge chinoise, sur le « modèle espagnol ». Les hôpitaux n’interviennent pas dans l’achat ni l’affectation des organes, celle-ci est réalisée par une équipe de coordination, responsable de l’équité de traitement entre les patients. La base de données est nationale.
Grâce à une transparence et une éthique nouvelles, les autorités espèrent lever les suspicions des Chinois et faciliter leur volontariat : près des deux tiers des Chinois seraient disposés à donner leurs organes après leur décès, selon une étude publiée en janvier 2012.
Selon les experts, la mise sur pied d’un réseau efficace de transplantation nécessite une solide organisation, du fait notamment des distances et des délais (conditions indispensables à la bonne conservation des organes). A ce jour, sur les 20 000 hôpitaux du pays, 164 hôpitaux sont habilités pour le prélèvement d'organes et les greffes.
Les prisonniers vivants, pourvoyeurs sur commande
L’ONG américaine « Médecins contre les prélèvements forcés d’organes (DAFOH) » a affirmé avoir été alarmée par l’augmentation du nombre de centre de transplantation, passés de 150 en 1999 à plus de 600 en 2007. Considérant que les seuls condamnés à mort ne peuvent suffire, et que les transplantations sont souvent programmées à l'avance, l’ONG affirme que les centres ont une autre filière : des donneurs vivants, disponibles sur demande. A raison de 10 000 transplantations par an, il faut une « réserve » de 150 000 personnes afin de faire correspondre les groupes sanguins et le type tissulaire avec celui des receveurs.
Selon certains témoignages, les prélèvements sur des prisonniers vivants seraient devenus une pratique courante. « Donneurs vivants. Et c'est là que, dans certains cas, l'opération de transplantation elle-même devient le mode d'exécution. » précise l’ONG, puisque le donneur ne survit pas à l’opération.
Les pratiquants de Falung Gong constitueraient une large partie de la « réserve », aux côtés d’Ouïghours, de Tibétains et de sectes chrétiennes.
Eviter la responsabilité de crimes contre l’humanité
Contrairement à quelques entrepreneurs sans scrupules qui avaient mis en danger la vie d’enfants (lait contaminé) ou à des scandales de corruption, l’institution médicale (militaire comme civile) reste protégée. A ce jour, le commerce (illicite) des transplantations d’organes n’a donné lieu à aucune arrestation. Un chercheur, toutefois, avance l’hypothèse d’un lien entre la réforme du système de dons d’organes avec l’éviction du Parti et l’arrestation du haut dignitaire Bo Xilai (le 15 mars 2012) : les deux auraient pour objectif d’enterrer toute trace de quinze années de crimes contre l’humanité.
Sylvie Lelan
Lire les articles du dossier :