Yasmine Attia et Michèle Ndoki, les lauréates du concours de plaidoirie contre la peine de mort


3 novembre 2015

L’une est tunisienne, l’autre camerounaise. Les avocates Mes Yasmine Attia et Michèle Ndoki ont remporté le premier prix du concours de plaidoirie francophone contre la peine de mort, organisé par Ensemble contre la peine de mort (ECPM) en partenariat avec le ministère français des Affaires étrangères, l’Organisation internationale de la Francophonie, la Conférence internationale des barreaux de tradition juridique commune et le Conseil national des barreaux français. C’était au Quai d’Orsay, le 9 octobre dernier, à la veille de la Journée mondiale contre la peine de mort, en présence de Robert Badinter.

Chacune a fait le choix de s’appuyer sur une affaire judiciaire tragique et fortement symbolique. Intitulant sa plaidoirie « Je pense, donc j’abolis », Yasmina Attia a défendu le cas de Maher Manaï, « ce jeune tunisien condamné à mort pour un meurtre qu’il n’a probablementpas commis » et qu’ECPM soutient. Michèle Ndoki, elle, a relaté le meurtre qu’a commis Jacques Dubuisson sur son épouse Marie-Thérèse Ngo Badjeck, en adoptant le regard de leur fils qui avait alors 11 ans au moment des faits : « Je ne veux pas que mon Papa aille à l’échafaud ». Plaidant l’abolition de la peine de mort, toutes deux ont su argumenter avec pertinence et jouer avec finesse sur les émotions.

Pourtant, ces deux avocates ont des parcours diamétralement opposés. Dès son adolescence, Yasmina Attia savait qu’elle voulait devenir avocate et l’est depuis 8 ans au barreau de Tunis. Michèle Ndoki, elle, l’est depuis à peine un an sous le statut de stagiaire au barreau de Yaoundé. Auparavant, elle avait travaillé en cabinet de conseil juridique et fiscal, puis en entreprise. Elle opta pour le métier d’avocat dès que fut établi, en 2014, un examen d’entrée.

« Je suis avant tout une avocate du droit des affaires, du droit des entreprises et du travail. J’ai encore peu d’expérience dans le droit pénal », confie-t-elle. Elle s’était même très peu intéressée à la question de la peine de mort avant de s’inscrire au concours de plaidoirie. « Je me suis inscrite sur les conseils de l’avocat qui me parraine dans la profession comme cela est exigé au Cameroun et je crois que je l’ai fait par esprit de compétition, du moins au début. » A force de se documenter pour préparer le concours, Michèle Ndoki s’est passionnée pour la question et se reconnaît désormais comme une fervente abolitionniste. « Cette victoire doit aller plus loin qu’une histoire entre moi et moi-même. Je veux contribuer à l’amplification du mouvement contre la peine de mort. »

Yasmina Attia, elle, est une abolitionniste de longue date. C’est en enseignant les droits humains à la faculté de Tunis qu’elle a pris conscience des enjeux de l’abolition. C’est aussi en participant à la révolution, qui a fait tomber en 2011 le régime de Ben Ali, qu’elle a milité pour une nouvelle démocratie sans peine de mort. Un combat qu’elle continue de mener aujourd’hui. « La Tunisie a manqué son rendez-vous avec l’abolition au moment de la révolution. Le gouvernement provisoire aurait pu le faire mais ne l’a pas fait par manque de légitimité populaire. L’assemblée constituante aurait aussi pu le faire, d’autant que le président était alors un abolitionniste notaire mais les trois partis dominants ont fait le choix de réinscrire la peine de mort dans la constitution en affirmant que la société tunisienne n’était pas prête pour l’abolition. »

Aujourd’hui, la situation est encore plus compliquée. « La loi anti-terroriste qui vient d’être adoptée en Tunisie, après le double attentat qu’a subi le pays au musée du Bardo et sur la plage de Sousse, reconnaît la peine de mort pour tout acte terroriste », alerte l’avocate. Mais, pour elle, l’abolition reste gagnable : « Dans le monde arabo-musulman, la Tunisie a toujours été pionnière dans les droits humains. C’est un processus sur le long terme qu’il faut continuer d’accompagner. »

Michèle Ndoki croit, elle aussi, au long processus de l’abolition. « Le Cameroun n’est pas à un stade très avancé. Le débat public sur la peine de mort est quasiment inexistant. Mais la peine de mort est déjà abolie dans les faits. Les prémices sont là. Les Camerounais ont une bonne compréhension des valeurs abolitionnistes. Ils sont attachés à la vie humaine. Alors dès qu’un vrai débat s’ouvrira, ça pourra aller très vite. » Un débat qui ne se fera pas sans l’avocate qui vient d’être nommée Rapporteur auprès de la Commission des droits humains du Conseil de l’ordre.

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Camille Sarret
Crédit photo : B.Chapiron/MAEDI