Robert Meeropol : « la peine de mort est une coercition, pas une sanction »


29 septembre 2016

C’était en 1953. Accusés d’avoir transmis le secret de la bombe atomique à l’URSS, Julius et Ethel Rosenberg étaient exécutés aux États-Unis. Leur fils Robert Meeropol travaille depuis de longues années à rétablir la vérité. De passage en France, il a accepté de répondre à nos questions concernant l’affaire Rosenberg et son engagement contre la peine de mort. Qui êtes-vous Monsieur Meeropol ? Je m’appelle Robert Meeropol mais je suis né Robert Rosenberg. Mes parents, Julius et Ethel Rosenberg, ont été exécutés quand j’avais 6 ans, pour avoir soi-disant volé le secret de la bombe atomique et donné des informations à l’Union soviétique. J’ai été adopté après l’exécution de mes parents, d’où mon nom. En grandissant, me suis lancé dans une campagne pour faire rouvrir le dossier de mes parents. J’avais une vingtaine d’années. J’ai fini par aller en école de droit et par devenir avocat. Par la suite j’ai fondé le Rosenberg Fund for Children, qui répond aux besoins éducatifs et émotionnels des enfants d’activistes menacés aux États-Unis. Qu’avez-vous découvert en rouvrant le dossier de vos parents ? Ces dernières années, nous avons découvert de nouveaux éléments, expliquant beaucoup de choses, notamment sur ma mère Ethel Rosenberg. Elle était accusée d’être une espionne atomique pour l’URSS, mais la réalité était plus compliquée que ça. Nous sommes certains aujourd’hui que mon père faisait partie d’un groupe de jeunes gens pendant la 2e guerre mondiale, fournissant des informations à l’URSS pour les aider à combattre les nazis. Mon père était donc un espion. Ce n’était pas la bombe atomique, c’était ce qu’on appelle de l’espionnage militaire industriel. L’électronique, les techniques d’aviation… le genre de chose qui a son importance quand on est en guerre. Il était donc bien coupable de quelque chose. Et si il avait été condamné à 5 ou 10 ans de prison, je n’aurais probablement pas eu à me plaindre. J’aurais pu contester la décision parce que c’était mon père, mais c’est une autre histoire. D’un autre côté, les mêmes preuves montrent qu’Ethel Rosenberg n’était pas une espionne. La seule raison de son arrestation, c’est que les autorités voulaient contraindre mon père à coopérer. Ils ont utilisé ma mère comme un levier pour le manipuler. Et c’est un autre argument fort contre la peine de mort : elle est souvent utilisée non pas comme sanction mais comme coercition. La seule raison pour laquelle mes parents ont été condamnés à mort, et c’est un fait largement admis, c’est pour les forcer à coopérer, à donner des noms. Pour faire simple, « parle ou meurs ». Et ils ont refusé. Ils ont été tués. Mais les preuves qui innocentent ma mère sont particulièrement convaincantes. Cela nous a menés, mon frère et moi, à faire appel à l’administration Obama avant la fin de son mandat pour faire exonérer ma mère. Tout comme le gouverneur du Massachusetts a proclamé, dans les années 70, que les exécutions de Sacco et Vanzetti étaient injustifiées et que tout stigmate devait être retiré de leur famille. Nous demandons au président Obama de faire la même chose pour notre mère. Nous avons également mis une pétition en ligne (LIEN). Nous y exposons toutes les preuves de l’innocence de notre mère. Comment en êtes-vous arrivé à militer contre la peine de mort ? À la base, je n’étais pas contre la peine de mort. Tout le monde pense qu’à cause de l’exécution de mes parents j’ai toujours été abolitionniste. Mais à l’époque je pensais que mes parents étaient victimes d’un meurtre judiciaire, et j’étais pour qu’on exécute les responsables de ce meurtre. Jusqu’au jour où je suis allé en école de droit. J’ai alors réalisé que donner à l’État le pouvoir de tuer ses citoyens est une chose très dangereuse. L’un des gros problèmes avec le fait d’exécuter les gens, c’est que une fois que tu as fait une erreur tu ne peux pas revenir sur tes pas. Mais dire « on ne devrait pas tuer des gens parce qu’ils peuvent être innocents » n’est pas vraiment un argument contre la peine de mort. Il laisse ouverte la possibilité d’exécuter les gens dont on sait qu’ils sont coupables. Ce n’est que plus tard dans ma vie, et notamment avec le travail effectué avec le Congrès mondial contre la peine de mort, que j’en suis arrivé à voir les exécutions comme une violation des droits de l’homme. J’en suis arrivé à voir les choses comme ça, à voir ça comme un acte de barbarie. Vous êtes un soutien de Mumia Abu-Jamal. L’avez-vous rencontré ? J’ai travaillé avec Murder Victims’ Families for Human Rights (LIEN) à la fin des années 90. Je me suis rapproché d’eux pour défendre la cause de Mumia Abu-Jamal. Son cas me touchait particulièrement, puisqu’il était le premier prisonnier politique aux États-Unis à craindre une exécution depuis mes parents. Je me suis rendu compte que 10 ans plus tôt, Mumia m’avait interviewé, alors qu’il n’était encore qu’un jeune journaliste radio de Philadelphie. Il m’avait demandé : « Pensez-vous qu’une affaire comme celle de vos parents pourrait encore arriver ? » Nous nous étions accordés à dire que oui, c’était encore possible. Et non seulement c’est arrivé, mais c’est à lui que c’est arrivé. Donc j’ai commencé à m’engager contre son exécution et c’est ce qui m’a mené au 1er Congrès mondial contre la peine de mort à Strasbourg. Comment formulez-vous votre engagement contre la peine de mort ? Ce qui m’intéresse particulièrement, c’est la question des enfants de personnes exécutées. Un side event y a été consacré au Congrès mondial d’Oslo, mais je pense que ça mériterait d’être une question centrale. Pour deux raisons : d’abord, ça pose la question de la justice. Pour chaque exécution, on crée une nouvelle classe de victimes : la famille de ceux qui sont exécutés. Les enfants sont forcément innocents dans cette histoire, et ils sont punis, d’une certaine manière, aussi sévèrement que leurs parents. Deuxième raison : c’est un axe stratégiquement intelligent, car les enfants suscitent de l’empathie. C’est sur cet angle que je me concentre dans le cadre de mon engagement contre la peine de mort. Un exemple pour te montrer à quel point la question des enfants est négligée : nous savons qu’il y a plus de 3000 personnes dans le couloir de la mort aux États-Unis. Combien d’entre eux ont des enfants ? Nous ne savons pas ! Combien d’enfants cela représente-t-il ? 100 ? 1000 ? 3000 ? Quasiment rien n’a été écrit sur l’impact de la peine de mort sur les enfants.