Ressortissants français au Levant : une situation complexe… jusqu’à un certain point
2 mars 2018
De nombreux Français, ayant quitté le territoire pour rejoindre Daesh sont aujourd’hui prisonniers en Irak et au Rojava, et risquent la condamnation à mort. Un point sur la situation, de la position pas toujours claire des autorités fançaises aux recommandations d’ECPM.
Selon Le Monde, depuis le début du conflit syrien, près de 2000 Français ont quitté le territoire pour rejoindre Daesh. Parmi ces personnes, 300 seraient mortes, 300 seraient revenues en France, et 1 200 se trouveraient toujours sur place dont 700 adultes et 500 enfants.
Des chiffres partiellement confirmés par la ministre de la défense Florence Parly, qui avance 500 à 600 personnes restées là-bas, ne comptant que les adultes, et 300 personnes décédées.
Sur le nombre de personnes détenues actuellement, les chiffres varient. Aujourd’hui, des estimations parlent d’une quinzaine de Français détenus en Irak et au Rojava (Kurdistan syrien). Une enquête de Mediapart publiée le 16 février avance cependant d’autres chiffres, avec moins de 5 Français détenus en Irak pour une centaine (enfants inclus) au Rojava.
Se pose la question du traitement et du jugement de ces ressortissants.
La France reconnaît les compétences juridiques irakiennes. Problème : ce pays applique encore la peine de mort. Il s’agit même d’un des plus gros exécuteurs de la planète avec 111 exécutions connues – toutes pour terrorisme – l’an passé. Parmi ces exécutions, celle d’un homme irako-suédois ayant combattu aux côtés de l’État islamique. Le 21 janvier dernier, la Cour pénale centrale de Bagdad a condamné à mort une ressortissante allemande ayant rejoint Daesh.
Côté Rojava, en l’absence de reconnaissance du Kurdistan par la France, aucune compétence n’est reconnue. En principe, le YPG, qui contrôle la région, est opposé à la peine de mort. Début janvier, une vidéo montrait Emilie Konig, une française détenue par les forces kurdes, affirmer que ses conditions de détention étaient satisfaisantes, et demander le rapatriement de ses enfants.
« Chaque pays a des règles »
Sur la scène politique française, on distingue deux types de position face à cette question. La droite, du Front National à Les Républicains, s’oppose à un rapatriement de ces ressortissants et, comme l’a déclaré Marine Le Pen, « tant pis pour eux s’ils encourent la peine de mort ». Au niveau gouvernemental, Emmanuel Macron a prôné un rapatriement des femmes et des enfants « au cas par cas » lors d’un discours tenu en novembre dernier à Abu Dhabi.
Pour les prisonniers qui pourraient encourir une condamnation à mort, la position de la France est moins claire. La garde ses Sceaux Nicole Belloubet a par exemple évoqué une possible compétence des autorités locales kurdes et évacué la possibilité d’un rapatriement si les standards internationaux pour un procès équitable étaient respectés. Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, est allé dans le même sens en insistant sur le fait que les institutions irakiennes sont reconnues. De manière générale, c’est cette déclaration de la ministre de la défense Florence Parly qui illustre le mieux le flou de la position actuelle de la France :
Engagements formels
Une timidité qui tranche avec la clarté des engagements pris par la France contre la peine de mort au cours des années avec, en premier lieu, la ratification de l’OP2, qui stipule dans son premier article qu’ « aucune personne relevant de la juridiction d’un Etat partie a présent protocole ne sera exécutée ». De plus, la France est partie au statut de Rome, qui reconnaît la compétence de la Cour pénale internationale, institution opposée à la peine de mort. Enfin, a été également ratifiée la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui interdit l’utilisation de la peine de mort.
S’ajoute à ces engagements formels un effort diplomatique, maintenu au cours des années, ayant fait de la France un pays leader pour la promotion de l’abolition à travers le monde.
Au niveau national, la loi prévoit également des dispositions particulières pour le rapatriement et le jugement des ressortissants français. Ainsi, la France pourrait juger ses personnes en invoquant le fait que les infractions ont commencé sur son territoire. La loi antiterroriste de 2012 stipule que les actes terroristes sont des infractions pouvant être jugées par la France, même si elles sont commises à l’étranger.
En remontant plus loin dans le temps, on retrouve le principe d’égalité devant la loi, inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et donc dans la Constitution. Imaginons, en effet, deux individus de nationalité française jugés pour les mêmes crimes, l’un en France, l’autre en Irak. Recevraient-ils la même condamnation ?
Garanties
Malheureusement, à la clarté de ces traités internationaux, articles de lois et principes fondateurs de la République s’opposent la confusion de la situation en Syrie et la complexité du jeu diplomatique. A ECPM, nous considérons que certaines garanties doivent néanmoins être apportées au nom du respect des droits de l’homme et de la lutte contre la peine de mort.
Voici ce que nous avons demandé au Président de la République Emmanuel Macron dans un courrier envoyé le 31 janvier dernier :
- Assurer une protection diplomatique et consulaire de manière égale à tous les Français détenus à l’étranger, quel que soit le crime qu’ils aient pu commettre ;
- Mettre tous les moyens en œuvre afin d’assurer que les personnes arrêtées, aient accès à des conditions de détention et de procès conformes au droit international, et que la peine capitale ne soit ni prononcée ni exécutée ;
- Si les conditions de détention et de jugement ne sont pas conformes aux standards internationaux et que des condamnations à mort sont prononcées et/ou exécutées, demander le rapatriement systématique de tous les ressortissants français pour qu’ils soient jugés en France.
Une manière de rappeler que même des djihadistes français emprisonnés au Moyen-Orient sont des justiciables comme les autres.