Onze Français ont été condamnés à mort par la justice irakienne entre le 26 mai et le 3 juin 2019. Ils faisaient partie d’un groupe de 280 personnes arrêtées par les Forces démocratiques syriennes (FDS, kurdes), alliées de la coalition internationale contre Daech (État islamique). En octobre 2018, les autorités du Rojava (Kurdistan syrien) avaient appelé la communauté internationale au rapatriement de leurs ressortissants arrêtés en Syrie, arguant de leur manque d’institutions et de moyens pour les maintenir en détention et les juger correctement²². « Nous n’appelons pas la France à les rapatrier comme nous le faisons pour les autres pays », avait indiqué Khaled Issa, représentant de la Syrie du nord à Paris. Les FDS ont donc remis en février 2019 les djihadistes français aux autorités irakiennes, lors d’une « opération coordonnée entre la coalition internationale et des services de renseignements irakiens » selon une source proche du dossier²³. Ils ont ensuite été jugés et condamnés à mort par une Cour de Bagdad. En septembre 2019, sept de ces onze Français auraient déjà fait appel de leurs jugements²⁴.

La plupart de ces Français sont âgés d’une trentaine d’années et ont rejoint la Syrie, souvent avec leurs familles, en 2013-2014. Tous n’ont cependant pas exactement le même profil et n’occupaient pas le même rôle au sein de l’organisation. Certains étaient actifs depuis longtemps avant de rejoindre la Syrie, notamment dans les réseaux de propagande et de mobilisation sur Internet, et connus des services de renseignement. Quelques-uns étaient poursuivis et/ou avaient été condamnés en France en leur absence à plusieurs années de prison ferme. Ils entretenaient bien souvent des relations étroites avec d’autres djihadistes français ayant participé à l’organisation d’attentats terroristes en France. D’autres affirment avoir eu un rôle plus subordonné au sein de l’État islamique (de « fonctionnaire administratif » ou d’« aide-soignant » par exemple) et avoir regretté d’avoir rejoint la Syrie sans avoir pu en sortir ; plusieurs se sont rendus d’eux-mêmes aux forces syriennes kurdes (dont un dès 2017, sur les conseils de la DGSE)25.

Des centaines de Français (dont des femmes et des enfants) restent détenus en Irak et en Syrie par les FDS. Leur situation et leur futur sont encore inconnus.

²² « Les Kurdes demandent le départ des djihadistes étrangers détenus en Syrie », Le Monde, 8 octobre 2018.

²³ « L’Irak va juger treize djihadistes présumés français capturés en Syrie », Le Monde, 25 février 2019.
[En ligne : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/02/25/l-irak-va-juger-treize-djihadistes-presumes-francais-captures-en-syrie_5428132_3210.html]

²⁴ « Djihadistes condamnés à mort en Irak : “La France a peur de ses citoyens” », Le Point, 18 septembre 2019.
[En ligne : https://www.lepoint.fr/monde/djihadistes-condamnes-a-mort-en-irak-la-france-a-peur-de-ses-citoyens-14-08-2019-2329904_24.php]

²⁵ « Qui sont les onze djihadistes français condamnés à mort en Irak ? », Le Monde, 3 juin 2019.
[En ligne : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/03/qui-sont-les-onze-djihadistes-francais-condamnes-a-mort-en-irak_5471006_3210.html].

Les Français ayant rejoint les rangs de Daech sont souvent partis avec des membres de leur famille (parents proches, femmes, enfants), ou en ont fondé une là-bas. Les autorités françaises ont affirmé que les rapatriements des femmes et surtout des enfants se feraient « au cas par cas »²⁶.

Après le rapatriement de cinq enfants en mars 2019²⁷ et celui d’une fillette de trois ans dont la mère a été condamnée en Irak le 27 mars 201928, le Gouvernement français a finalement opéré un rapatriement de douze enfants en juin 2019 dont dix orphelins²⁹. Parmi eux se trouveraient
deux enfants d’un des ressortissants français condamnés à mort. Par ailleurs, des membres de la famille de deux des Français condamnés à mort en Irak ont été expulsés de la Turquie vers la France le mardi 24 septembre 2019 à la suite de leur arrestation en juillet 2019³⁰. Les neuf enfants ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance et les trois femmes (les épouses et la mère des deux Français condamnés) font désormais l’objet d’une garde à vue et d’une enquête de la Direction générale de la sécurité intérieure³¹.

Devant les réticences de l’État français à rapatrier d’autres enfants, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a lancé un appel formel³² pour que leur retour soit accéléré et la justice européenne a été saisie. Un avis a également été adopté le 24 septembre 2019 exhortant les autorités à rapatrier tous les enfants et leurs parents retenus en Syrie³³. Ce refus de rapatrier tous les enfants, alors qu’ils se trouvent dans des conditions sanitaires et sécuritaires déplorables, ont conduit plusieurs grands-parents d’enfants retenus dans les camps syriens à porter plainte contre le Ministre de l’Europe et des affaires étrangères pour
« omission de porter secours » devant la Cour de justice de la République³⁴.

Les familles (françaises) des djihadistes français subissent donc une double peine en France. Elles sont le plus souvent démunies, sans nouvelles de leurs proches depuis plusieurs années, avec énormément de difficultés à obtenir des informations sur leur situation de la part des autorités françaises. Ces familles sont très isolées : elles ne peuvent en parler à personne
(souvent pas même à leurs proches).

En dépit de démarches entreprises auprès du Défenseur des droits, de députés, du Ministère des Affaires étrangères ou de la Présidence de la République, elles n’ont eu que peu d’écoute et d’informations de la part des autorités.

Elles ne sont souvent pas prises en charge psychologiquement, et n’ont pas toujours les moyens de payer un avocat, en particulier les frais de déplacement de celui-ci vers l’Irak. Ces familles sont donc victimes elles aussi de la situation et doivent pouvoir être accompagnées.

²⁶ « Le retour des djihadistes français et de leurs familles sera examiné au cas par cas, affirme Macron », Le Monde, 9 novembre 2017.
[En ligne : http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/11/09/le-retour-des-djihadistes-francais-et-de-leurs-familles-sera-examine-aucas-
par-cas-affi rme-emmanuel-macron_5212873_3224.html]

²⁷ « La France a rapatrié de Syrie cinq enfants orphelins de djihadistes », Le Monde, 15 mars 2019.
[En ligne : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/03/15/enfants-de-djihadistes-la-france-a-rapatrie-de-syrie-plusieurs-orphelins_5436588_3210.html

²⁸ « La France rapatrie la fille d’une djihadiste condamnée en Irak », L’Express, 27 mars 2019.
[En ligne : https://www.lexpress.fr/actualite/societe/la-france-rapatrie-la-fi lle-d-une-djihadiste-condamnee-en-irak_2069746.html]

²⁹ « Syrie : le profil des 12 enfants de jihadistes rapatriés en France », RFI, 4 juillet 2019.
[En ligne : https://www.rtl.fr/actu/international/syrie-le-profi l-des-12-enfants-de-jihadistes-rapatries-en-france-7797978235] ;
« Des enfants de djihadistes rapatriés en France », Le Parisien, 10 juin 2019.
[En ligne : http://www.leparisien.fr/faits-divers/des-enfants-de-djihadistes-rapatries-en-france-10-06-2019-8090061.php]

³⁰ « Les épouses de djihadistes français interpellées à leur retour de Syrie », Le Point, 4 juillet 2019.
[En ligne : https://www.lepoint.fr/societe/les-epouses-de-djihadistes-francais-interpellees-a-leur-retour-de-syrie-04-07-2019-2322728_23.php]

³¹ « Neuf enfants de jihadistes, dont des petits-neveux et petites-nièces des frères Clain, viennent d’atterrir en France », France Info, 24 septembre 2019.
[En ligne : https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/offensive-jihadiste-en-irak/neuf-enfants-de-jihadistes-dont-des-petits-neveux-et-petites-nieces-des-freres-clain-viennent-d-atterrir-en-france_3629637.html]

³² « “Il y a danger de mort pour ces mineurs” : la France exhortée à rapatrier les enfants de djihadistes », Le Monde, 29 mai 2019
[En ligne : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/29/la-cncdh-exhorte-le-gouvernement-a-rapatrier-les-enfants-de-djihadistes-francais-de-syrie_5469108_3210.html].

³³ CNCDH, « La CNCDH exhorte le Gouvernement à rapatrier tous les enfants français et leurs parents retenus en Syrie », Communiqué de presse, 25 septembre 2019.
[En ligne : https://www.cncdh.fr/node/1990 ; https://www.cncdh.fr/sites/default/fi les/19.09.24_-_cp_avis_sur_les_enfants_francais_en_syrie.pdf]

³⁴ « Des grands-parents d’enfants français retenus en Syrie portent plainte contre Jean-Yves Le Drian », Le Monde, 16 septembre 2019.
[En ligne : https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/09/16/des-grands-parents-d-enfants-francais-retenus-en-syrie-portent-plainte-contre-jean-yves-le-drian_5510824_3224.html]

Les onze Français condamnés à mort ont été arrêtés en Syrie par les FDS, forces kurdes alliées de la coalition internationale luttant au Levant contre l’État islamique. Ces forces ne relèvent pas d’un État reconnu par l’ensemble de la communauté internationale, et ne possèdent donc aucune institution légitime, en capacité de poursuivre les membres étrangers de l’État islamique. Quant à la Syrie, celle-ci est en proie à plusieurs conflits armés sur son territoire. La France a coupé toutes relations diplomatiques avec la Syrie depuis 2012 et ne reconnaît donc plus ses institutions qui n’ont ni la légitimité, ni la capacité, ni la volonté de juger les djihadistes français arrêtés en Syrie.

En revanche, l’Irak et ses institutions sont reconnus par la France et plus largement par la communauté internationale. Les autorités françaises ont érigé en position de principe le fait que les ressortissants français transférés en Irak ne seront pas rapatriés et devront par conséquent être jugés en Irak, en vertu de la compétence territoriale irakienne sur les crimes commis sur son sol³⁵. Ce principe a été réaffi rmé à plusieurs reprises par les autorités françaises, notamment par Jean-Yves Le Drian³⁶, Gérard Collomb³⁷ et Florence
Parly³⁸.

Le 13 août 2019, Agnès Callamard, Rapporteure spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, a adressé un courrier au Premier Ministre français Edouard Philippe demandant des explications aux autorités françaises sur leur éventuelle implication dans les transferts de détenus vers l’Irak³⁹. Dans ce courrier adressé au Premier Ministre, la Rapporteure rappelle que ces transferts sont contraires à plusieurs principes du droit international⁴⁰. Pour Agnès Callamard, le transfert des prisonniers et leur jugement en Irak « ne permet pas une politique de justice pour les victimes de Daech. La justice n’est pas rendue, la vérité est cachée ».

Ces soupçons d’implication de la France dans les transferts découlent de différents témoignages selon lesquels lesdits transferts auraient été réalisés avec l’aide des autorités françaises⁴¹. La position constante du Quai d’Orsay vise à nier toute implication de la France dans les différents transferts de prisonniers du Kurdistan syrien vers l’Irak en qualifiant de « pure spéculation » les propos de la Rapporteure, et en refusant tout rapatriement de ses ressortissants⁴².

³⁵ Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, « Irak – Condamnation de ressortissants français à la peine de mort (27 mai 2019) »,
[En ligne : https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/irak/evenements/article/irak-condamnation-de-ressortissants-francais-a-lapeine-de-mort-27-05-19]

³⁶ « Djihadistes captifs, l’impossible retour ? », Le Monde, n° 22672, 4 décembre 2017, p. 8.

³⁷ Interview de Gérard Collomb, BFM TV, 1er novembre 2017
[En ligne : https://www.interieur.gouv.fr/fr/Archives/Archives-ministres-de-l-Interieur/Archives-Gerard-Collomb-mai-2017-octobre-2018/
Actualites-du-ministre/Interview-de-Gerard-Collomb-dans-l-emission-19h-Ruth-Elkrief]

³⁸ « Florence Parly : “Il y a ceux qui sont prêts à donner leur vie pour leur pays et les autres” », Libération, 14 janvier 2018, pp. 12-13.

³⁹ « L’ONU interpelle la France sur les transferts des djihadistes Français à Bagdad », La Croix, 12 août 2019.
[En ligne : https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/LONU-interpelle-France-transferts-djihadistes-Francais-Bagdad-2019-08-12-1201040682] ;
« Quelle justice pour les combattants du groupe État islamique ? », L’Écho, 7 septembre 2019.
[En ligne : https://www.lecho.be/economie-politique/international/moyen-orient/quelle-justice-pour-les-combattants-du-groupe-etatislamique/
10160329.html]

⁴⁰ « L’ONU interpelle la France sur le transfèrement “illégal” des jihadistes français condamnés à mort en Irak », France info, 12 août 2019.
[En ligne : https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/offensive-jihadiste-en-irak/l-onu-accuse-la-france-d-avoir-extrade-illegalement-des-jihadistes-francais-en-irak_3574219.html]

⁴¹ « Irak : plusieurs Français condamnés à mort mettent en cause Paris », Le Figaro, 6 juillet 2019.
[En ligne : http://www.lefigaro.fr/international/irak-plusieurs-francais-condamnes-a-mort-mettent-en-cause-paris-20190706] ;
« Des djihadistes français condamnés à mort en Irak mettent en cause Paris », Le Monde, 6 juillet 2019.
[En ligne : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/07/06/des-djihadistes-francais-condamnes-a-mort-en-irak-mettent-en-cause-paris_5486227_3210.html]

⁴² « Paris récuse les observations d’une rapporteure de l’ONU sur le transfert de jihadistes français en Irak », France Info, 12 août 2019.
[En ligne : https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/francais-condamnes-a-mort-en-irak/paris-recuse-les-observations-d-unerapporteure-
de-l-onu-sur-le-transfert-de-jihadistes-francais-en-irak_3574541.html] ;
« Paris répond sèchement à une experte de l’ONU qui demandait le rapatriement des jihadistes », Huffington Post, 13 août 2019.
[En ligne : https://www.huffingtonpost.fr/amp/entry/paris-repond-sechement-a-une-rapporteur-de-lonu-qui-demandait-des-comptessur-
les-djihadistes-condamnes-a-mort_fr_5d526024e4b0c63bcbec716b/?ncid=other_twitter_cooo9wqtham&utm_campaign=share_
twitter&__twitter_impression=true] ;
« Djihadistes français condamnés à mort en Irak : la France exclut à nouveau de les rapatrier », LCI, 13 août 2019
[En ligne : https://www.lci.fr/terrorisme/djihadistes-francais-condamnes-a-mort-en-irak-la-france-exclut-a-nouveau-de-les-rapatrierune-
experte-de-l-onu-appelle-a-le-faire-2129420.html]

Si l’Irak peut être considéré comme compétent pour juger les djihadistes étrangers, cela ne dédouane pas la France de veiller au respect de l’ensemble de ses obligations internationales vis-à-vis de ses ressortissants.

En vertu de la Convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963⁴³, ratifiée par
la France et l’Irak, les ressortissants français détenus en Irak ont droit à la protection (ou
assistance) consulaire. En vertu la Directive (UE) du Conseil européen n° 2015/637 du 20 avril 2015 tout citoyen européen devrait pouvoir bénéficier d’une protection consulaire par un État membre de l’Union s’il n’est pas représenté par le pays dont il est le ressortissant.

En pratique, cela signifie que les autorités irakiennes ont l’obligation de notifier la détention de citoyens français, et de veiller au droit de ceux-ci d’être en contact avec les autorités consulaires françaises. Ces dernières sont en droit de s’assurer à tout moment du respect des droits fondamentaux de leurs ressortissants, notamment du respect des normes minimales de conditions de détention et du déroulement équitable des procédures judiciaires ; de leur fournir un accès à un avocat et à un interprète ; ou encore de prévenir et faciliter le contact avec (et éventuellement la visite de) leurs familles et leurs avocats français.

Les autorités françaises ont assuré avoir mis en place une protection consulaire pour les
Français détenus en Syrie et en Irak, y compris pour les onze qui ont été condamnés à mort. Ainsi, depuis leur condamnation à mort, les Français auraient pu bénéficier d’une visite consulaire par mois avec les autorités françaises, les conditions de ces entretiens dépendant des autorités locales. Néanmoins, les autorités françaises auraient été très frileuses sur la transmission d’informations à leurs avocats français et surtout aux familles de djihadistes.

Par ailleurs, la France a ratifié de nombreux instruments internationaux et régionaux de
protection des droits de l’homme qui l’engagent à promouvoir l’abolition de la peine de mort. Elle a notamment ratifié le Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international sur les droits civils et politiques (OP2) qui dispose dans son article 1er qu’« Aucune personne relevant de la juridiction d’un État partie au présent Protocole ne sera exécutée. 2. Chaque
État partie prendra toutes les mesures voulues pour abolir la peine de mort dans le ressort de sa juridiction ». Elle a également ratifié la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que son 13e Protocole Additionnel qui interdit la peine de mort en toutes circonstances. La France est également, depuis de nombreuses années, un des leaders de la lutte pour l’abolition universelle de la peine de mort. Elle s’est engagée à de nombreuses reprises à accompagner les autorités irakiennes dans le renforcement des droits de l’homme⁴⁴ et l’abolition de la peine capitale, notamment dans le cadre de l’accord de coopération entre l’Union européenne et l’Irak voté par le Parlement
européen en 2018.

Il est important de noter que la France ne répond à aucune demande d’extradition quand il existe un risque de condamnation à mort, peu importe la nationalité de la personne, en application notamment d’une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme⁴⁵. Il semble donc assez paradoxal qu’elle accepte le transfert et le jugement de ses
propres ressortissants dans un pays pratiquant et appliquant la peine capitale.

⁴³ Nations unies, Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, Recueil des traités, vol. 596, 24 avril 1963, p. 261.

⁴⁴ Article 11 du Décret n° 2016-680 du 25 mai 2016 portant publication de l’accord de partenariat pour la coopération culturelle, scientifique et technique et pour le développement entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Irak, signé à Paris le 16 novembre 2009 : « Dans le cadre des réformes mises en oeuvre par le Gouvernement irakien, des actions de coopération sont mises en place, à la demande de la Partie irakienne, dans le domaine de l’appui à la gouvernance démocratique, à l’État de droit et à la modernisation du secteur public. Ces actions peuvent prendre la forme de sessions de formations, d’échanges de visites et de partenariats techniques. Elles
peuvent également prendre la forme d’expertises contribuant à la définition et à la mise en oeuvre de politiques publiques sectorielles. »

⁴⁵ Fiche thématique « Abolition de la peine de mort » de la Cour européenne des droits de l’homme, mars 2019.
[En ligne : https://www.echr.coe.int/Documents/FS_Death_penalty_FRA.pdf]

Garanti internationalement, le droit à un procès équitable repose notamment sur le principe de la présomption d’innocence, de l’indépendance et l’impartialité des juges, du débat contradictoire - c’est-à-dire durant lequel toutes les parties sont entendues et tous les arguments clairement discutés ; ainsi que du respect des droits de la défense et notamment l’accès à un avocat à tous les stades de la procédure (de l’arrestation au procès) et en possession de tous les moyens nécessaires⁴⁶ pour se défendre.

Ce droit fondamental de toute personne a été consacré par la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 10), la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 6) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 14) - instrument contraignant et ratifié par la France et l’Irak.

L’Examen périodique universel (EPU) est un processus qui vise à évaluer, de façon périodique, la situation des droits de l’homme dans chaque État membre des Nations unies par le Conseil des droits de l’homme (CDH). Depuis son premier EPU, la situation des droits de l’homme en Irak s’est détériorée. Le 3 novembre 2014, le deuxième EPU de l’Irak s’est tenu à Genève. À cette occasion de nombreux États se sont exprimés sur les violations du droit à un procès équitable commises par l’Irak. La Suisse, appuyée par la Norvège et le Royaume-Uni, a déploré ces violations systématiques en appelant l’Irak à assurer totalement le droit à une procédure équitable⁴⁷.

Bien que M. Jean-Yves Le Drian, Ministre des Affaires étrangères, ait récemment qualifié les procès à l’issue desquels les onze Français ont été condamnés à mort d’« équitables », le Représentant permanent de la France à Genève avait lui-même, à l’occasion de la session de l’EPU de novembre 2014, émis des recommandations à l’Irak : instaurer un moratoire sur la peine de mort en vue de son abolition ; garantir l’accès de tous les Irakiens à des procédures judiciaires équitables ; réformer les systèmes sécuritaire et pénitentiaire ; mettre un terme aux exécutions extrajudiciaires, aux détentions arbitraires et à la pratique de la torture ; ratifier le Protocole facultatif à la Convention contre la torture. 

Agnès Callamard a également reconnu que le système judiciaire irakien était « marqué par des problèmes structurels très sérieux »⁴⁸ et que les procès étaient inéquitables⁴⁹.

Par ailleurs, la Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme Michelle Bachelet, a effectué une déclaration devant le Conseil des droits de l’homme⁵⁰ affirmant que plus de 150 hommes et femmes ont été condamnés à mort en Irak en vertu de la loi antiterroriste, à l’issue de procès ne remplissant pas toutes les garanties du procès équitable. Elle rappelle également qu’il appartient aux États de faire tout leur possible pour que leurs citoyens qui seraient soupçonnés d’avoir commis des crimes graves à l’étranger soient traités conformément au droit international.

De nombreux rapports d’ONG⁵¹, des Nations unies ou encore d’avocats font état d’importantes violations des droits de l’homme et spécifiquement du droit à un procès équitable, plus particulièrement lors des procès pour appartenance à l’État islamique. Les magistrats ne peuvent agir en toute indépendance, et rendent justice dans la peur de représailles en cas de verdict jugé inadéquat par le reste de la population⁵². Ceci est d’autant plus vrai pour les avocats de la défense, qui subissent de nombreuses menaces. Les accusés obtiennent donc un avocat, le plus souvent commis d’office sous la contrainte, présent seulement au procès mais absent durant l’arrestation et l’enquête. Les avocats n’ont souvent pas eu connaissance du dossier, ni des clients, avant le procès et n’ont donc aucune possibilité de préparation. Les procès sont la plupart du temps très courts, sans présentation de tous les éléments et de tous les arguments de la défense⁵³. Les juges prononcent les peines sur la base d’aveux plutôt que sur des éléments de preuves concordants, alors même que les aveux peuvent être obtenus
sous la torture, dont l’usage régulier a été rapporté par de nombreux rapports d’ONG. Cela a également été confirmé par le témoignage de plusieurs des Français condamnés à mort⁵⁴.

Selon la législation irakienne, est passible de la peine de mort obligatoire toute personne qui aurait commis, incité, planifié, financé ou assisté de quelque manière que ce soit à la commission d’un acte terroriste. La loi antiterroriste irakienne criminalise l’appartenance à une organisation terroriste peu importe la place occupée au sein de l’organisation. Il n’y a donc aucune gradation des faits et des peines : un infirmier travaillant dans un hôpital contrôlé
par l’État islamique ou un cuisinier peut être condamné à la peine de mort au même titre qu’un membre sur le terrain ou un fabricant de bombe. L’imprécision de la loi implique que les individus ne sont pas tenus responsables pour leur crime spécifique⁵⁵. Ainsi, en dépit de leurs affirmations selon lesquelles ils n’auraient jamais participé aux combats à proprement parler, plusieurs Français ont été condamnés à mort. Le droit international interdit l’application de la peine de mort pour des crimes qui ne sont pas considérés comme les crimes les plus graves⁵⁶.

Les condamnations à mort des djihadistes ont été prononcées sur la base d’allégation de faits non clairement énoncés, non clairement discutés ou prouvés, à l’issue de procès le plus souvent expéditifs ne respectant pas un certain nombre des droits fondamentaux des accusés. Ces procédures sont contraires à l’ensemble des instruments internationaux ratifiés par la France et par l’Irak.

⁴⁶ Ministère français de la Justice, Le Droit à un procès équitable.
[En ligne : http://www.justice.gouv.fr/organisation-de-la-justice-10031/les-fondements-et-principes-10032/le-droit-a-un-proces-equitable-10027.html]

⁴⁷ « Irak : 229 recommandations de l’ONU pour remédier aux graves violations des droits de l’Homme »
[En ligne : https://www.alkarama.org/fr/articles/irak-229-recommandations-de-lonu-pour-remedier-aux-graves-violations-des-droitsde-lhomme]
Ces recommandations ne font que réitérer celles déjà émises lors de l’EPU de l’Irak de février 2010. En effet dans le cadre du Rapport du Groupe de travail sur l’examen périodique universel de l’Irak du 15 mars 2010 (A/HRC/14/14) plusieurs États ont émis des recommandations relatives au respect du droit au procès équitable. Certains États ont recommandé à l’Irak d’adhérer aux normes internationales en matière de procès équitables (Ghana) ; d’autres ont reconnu ou se sont dits préoccupés du non-respect par les tribunaux des normes minimales du procès équitable (Autriche, Slovaquie) ; enfin les derniers recommandent l’élimination de violations liées au droit au procès équitable et la mise en oeuvre de toutes les mesures nécessaires pour garantir et assurer ce droit (Australie, Pays-Bas, Bosnie-Herzégovine, Norvège).

⁴⁸ « Djihadistes français condamnés à mort en Irak : la France exclut à nouveau de les rapatrier », LCI, 13 août 2019.
[En ligne : https://www.lci.fr/terrorisme/djihadistes-francais-condamnes-a-mort-en-irak-la-france-exclut-a-nouveau-de-les-rapatrier-une-experte-de-l-onu-appelle-a-le-faire-2129420.html]

⁴⁹ « Paris répond sèchement à une experte de l’ONU qui demandait le rapatriement des jihadistes », Huffington Post, 13 août 2019.
[En ligne : https://www.huffingtonpost.fr/amp/entry/paris-repond-sechement-a-une-rapporteur-de-lonu-qui-demandait-des-comptessur-
les-djihadistes-condamnes-a-mort_fr_5d526024e4b0c63bcbec716b/?ncid=other_twitter_cooo9wqtham&utm_campaign=share_twitter&__twitter_impression=true]

⁵⁰ Déclaration préliminaire de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Michelle Bachelet, 41e session du Conseil des droits de l’homme.
[En ligne : https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=24724&LangID=E]

⁵¹ Voir notamment : Human Rights Watch, « Flawed Justice : Accountability for ISIS Crimes in Iraq », décembre 2017 ; Amnesty International, « Rapport 2017/18, la situation des droits humains dans le monde », p. 232.

⁵² « Les procès des djihadistes français soulignent les failles du système judiciaire irakien », Le Monde, 6 juin 2019.
[En ligne : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/04/les-proces-des-djihadistes-francais-soulignent-les-failles-dusysteme-
judiciaire-irakien_5471351_3210.html]

⁵³ “Inside the Iraqi courts sentencing foreign Isis fighters to death”, The Guardian, 2 juin 2019.
[En ligne : https://www.theguardian.com/world/2019/jun/02/inside-the-iraqi-courts-sentencing-foreign-isis-fighters-to-death] ;
“France Hands ISIS Suspects to Iraq, Which Sentences Them to Hang”, The New York Times, 29 mai 2019.
[Disponible en anglais uniquement : https://www.nytimes.com/2019/05/29/world/middleeast/france-iraq-isis-trials.html]

⁵⁴ « Des djihadistes français condamnés à mort en Irak mettent en cause Paris », Le Monde, 6 juillet 2019.
[En ligne : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/07/06/des-djihadistes-francais-condamnes-a-mort-en-irak-mettent-encause-paris_5486227_3210.html] ;
« La famille d’un Français condamné à mort en Irak crie sa colère », RFI, 10 juillet 2019.
[En ligne : http://www.rfi.fr/france/20190710-rfi-rencontre-famille-francais-condamne-mort-irak] ;
« Jihadistes en Irak : “Est-ce qu’on éradiquera le mal en appliquant la peine de mort ? Non !” », Libération, 4 juillet 2019.
[En ligne : https://www.liberation.fr/france/2019/07/04/jihadistes-en-irak-est-ce-qu-on-eradiquera-le-mal-en-appliquant-la-peine-demort-non_1738006] ; « La famille d’un djihadiste français condamné à mort brise le silence », Le Point, 21 juin 2019.
[En ligne : https://www.lepoint.fr/justice/exclusif-la-famille-d-un-djihadiste-francais-condamne-a-mort-brise-lesilence-21-06-2019-2320318_2386.php]

⁵⁵ “France Hands ISIS Suspects to Iraq, Which Sentences Them to Hang”, The New York Times, 29 mai 2019.
[Disponible en anglais uniquement : https://www.nytimes.com/2019/05/29/world/middleeast/france-iraq-isis-trials.html]

⁵⁶ Article 6 du Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP), Observation générale n° 36 du Comité des droits de l’homme.

Afin de leur assurer un procès équitable et d’éviter l’application de la peine capitale, contraire aux engagements de la France au niveau international et vis-à-vis de ses citoyens, de nombreuses ONG, familles de djihadistes mais également familles de victimes d’attentats terroristes demandent leur rapatriement en France. En effet, au-delà de ses obligations internationales, la France a une obligation morale de protection des droits de l’homme et de lutte contre la peine de mort, notamment concernant ses ressortissants, y compris dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. De plus, bien que l’Irak soit en droit de juger toute personne, quelle que soit sa nationalité, pour les crimes commis sur son territoire, la France a également compétence sur ses ressortissants. D’une part, les suspects sont de nationalité française (compétence personnelle active de la France prévue par l’article 113-6 du Code pénal). D’autre part, une partie des infractions ont commencé en France (compétence territoriale de la France lui permettant d’ouvrir de nombreuses enquêtes, contre nombre de ses ressortissants).

Enfin, la loi française s’applique aux actes de terrorisme commis par un Français à l’étranger (article 2 de la Loi antiterroriste de 2012 et article 113-13 du Code pénal) et l’article 689 du Code de procédure pénale dispose que les actes terroristes sont des infractions pouvant être jugées par la France, même commis à l’étranger. En vertu de l’OP2, la France est donc dans l’obligation d’agir contre la condamnation à mort et a fortiori l’exécution de ses ressortissants, qui relèvent de sa juridiction.

En outre, la justice française possède un arsenal juridique adéquat⁵⁷ pour poursuivre et condamner ses ressortissants, d’autant plus que les magistrats français possèdent vraisemblablement plus d’éléments pour étayer les dossiers que leurs homologues irakiens, comme le rappelle Marie Dosé, avocate de familles de Français détenus en Syrie⁵⁸.

Enfin, un procès en France permettrait d’entendre et éventuellement de pouvoir comprendre et apprendre les motivations de ces Français partis rejoindre les rangs de l’État islamique, ainsi que du fonctionnement de l’organisation et de toute autre information utile dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

⁵⁷ La France dispose de plusieurs juridictions spécialisées : le parquet anti-terroriste, le pôle crimes contre l’humanité et crimes de guerre du Tribunal de grande instance de Paris et la Cour d’assises spéciale en matière de terrorisme.

⁵⁸ « Les procès des djihadistes français soulignent les failles du système judiciaire irakien », Le Monde, 4 juin 2019.
[En ligne : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/04/les-proces-des-djihadistes-francais-soulignent-les-failles-dusysteme-
judiciaire-irakien_5471351_3210.html]

Les procès en Irak tels qu’ils se déroulent ne pourront jamais apporter aux victimes du
terrorisme, la vérité, la confrontation, la responsabilité, la reconnaissance de leur statut de victime ou même un espace de parole leur permettant de comprendre l’horreur qu’ils ont vécu et d’obtenir des réponses. La situation actuelle des djihadistes français condamnés en Irak s’oppose ainsi aux revendications des victimes et des associations. Cette situation ne garantit pas la nécessité d’établir la vérité et la justice pour toute la société. Qu’elles soient françaises, européennes, syriennes, kurdes, yezzidies, les victimes veulent avant tout comprendre, savoir et que justice soit rendue.

« L’honneur d’un État de droit, c’est de ne pas abandonner ses valeurs, même face aux pires crapules. » Georges Salines, le père d’une victime du Bataclan⁵⁹

Une partie des victimes, notamment Guillaume Denoix De Saint-Marc, directeur de l’Association française des victimes du terrorisme (AFTV), est hostile à la peine de mort pour ces Français condamnés en Irak. Le 29 mai 2019, il exprimait le souhait que la peine de mort soit commuée en prison à vie. Cette même association a demandé que les djihadistes soient jugés et condamnés tout en respectant leurs droits fondamentaux et a rappelé sa « profonde
opposition à la peine de mort » jugeant cette peine « barbare », n’ayant aucun effet dissuasif. Selon Guillaume Denoix De Saint-Marc certaines valeurs ne doivent pas être abandonnées « au prétexte qu’elles ont été spoliées » par les djihadistes.

Il a précisé que les victimes souhaiteraient que les individus soient entendus par les autorités françaises, que les procès se déroulent en France, notamment parce que ces personnes sont également citées dans des dossiers sur lesquels l’Association s’est portée partie civile. Comme l’AFTV l’a souligné « De nombreuses zones d’ombre restent à éclaircir dans beaucoup de procédures d’attentats en France et contre des Français à l’étranger » ; « Exécuter ces djihadistes ne permettra pas à nos sociétés et aux victimes du terrorisme de comprendre les raisons de leur départ et les ramifications de leur organisation ». Si les exécutions avaient lieu, alors même que des mandats d’arrêt internationaux ont été délivrés à l’encontre de certains djihadistes français jugés à l’étranger, cela empêcherait alors la justice française de fonctionner, d’obtenir des réponses quant à la participation de ces individus et de comprendre le « système » du mouvement auquel ces djihadistes adhèrent.

⁵⁹ « Les Français divisés face à la peine de mort », La Croix, 4 juin 2019.
[En ligne : https://www.la-croix.com/France/Justice/Francais-divises-face-peine-mort-2019-06-04-1201026673]

À l’image du Tribunal spécial pour le Liban, seule juridiction internationale pénale compétente pour juger les crimes de terrorisme, la création d’un tribunal international a été discutée. Cette idée est loin d’être simple à mettre en oeuvre. En effet, en plus d’être très coûteuse, la mise en place d’une telle juridiction prendrait sûrement plusieurs années et nécessiterait une définition plus précise des crimes de terrorisme au niveau du droit international alors même qu’il n’y a pas de consensus sur la notion. En outre, la question de son emplacement est extrêmement compliquée à résoudre. Pour être au plus près des lieux où ont été commises les exactions, des victimes et des témoins, un tribunal international devrait siéger dans la région du Levant. À l’occasion d’un forum international sur la lutte contre le terrorisme auxquels ont participé des experts internationaux, les autorités kurdes ont tenté de promouvoir, début juillet 2019, l’instauration dans leur région d’un tribunal international pour juger les combattants étrangers. Il s’agirait davantage d’une juridiction « hybride », au sein de laquelle pourraient siéger des juges nationaux ainsi que des juges internationaux. Abdel Karim Omar, un haut responsable des Affaires étrangères de l’administration kurde dit espérer un tribunal international qui jugerait les suspects « conformément aux lois locales après les avoir développées pour qu’elles soient conformes au droit international »⁶⁰.

Par ailleurs, la France, étant partie au Statut de Rome qui donne compétence à la Cour Pénale Internationale (CPI) pour le jugement des crimes internationaux, a contribué avec l’Union européenne et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies à appeler l’Irak à ratifier ledit Statut. Sous certaines conditions, une telle ratification permettrait à la CPI de poursuivre les djihadistes français. Le crime de terrorisme ne relevant pas de la compétence de la CPI, les exactions commises devront pouvoir être requalifiées en crime contre l’humanité, crime de guerre ou génocide. Néanmoins, l’Irak n’est pas disposé pour le moment à devenir partie au Statut de Rome.

⁶⁰ « Les jihadistes de l’EI pourraient-ils être jugés en Syrie ? », Agence mondiale d’information – AFP, 16 juillet 2019.
[En ligne : https://www.peinedemort.org/document/10603/jihadistes_l-EI_pourraient-ils_etre_juges_Syrie]

POUR LA FRANCE

Ces condamnations à mort, résultant en partie d’une position de principe des autorités françaises totalement paradoxale, ne peuvent avoir aucune conséquence bénéfique. Elles ont été dénoncées par plusieurs collectifs, rassemblant des familles de djihadistes français⁶¹, mais également des familles de victimes du terrorisme⁶².

Elles témoignent d’un discours à géométrie variable des autorités françaises concernant le traitement de ses ressortissants français - Jean-Yves Le Drian avait réaffirmé en avril 2019 que l’État français avait une obligation « d’assurer la sécurité des Français, où qu’ils se trouvent, y compris dans des conditions extrêmes à l’étranger »⁶³ - et de ses engagements en matière de respect des droits fondamentaux et de lutte contre la peine de mort - la France se positionne comme un pays leader en la matière.

Si des exécutions devaient avoir lieu, cela signifierait que des Français, citoyens d’un pays dans lequel la peine capitale a été abolie en toutes circonstances, seraient mis à mort sans que la France ait usé de toutes ses capacités d’action. Cela constituerait, comme l’ont rappelé 45 avocats dans une tribune parue le 3 juin 2019, une « mise en oeuvre extraterritoriale de la peine de mort »⁶⁴.

Agnès Callamard appuie l’idée qu’un État qui a aboli la peine de mort ne peut transférer un individu dans un pays qui la pratique encore puisque cela reviendrait à prononcer des condamnations à mort « par procuration ». Ces exécutions éventuelles entacheraient de manière indélébile la légitimité et la crédibilité de la France sur la scène internationale, tant dans le dialogue bilatéral, qu’au sein des instances internationales et notamment au sein de l’Union européenne (UE) mais aussi vis-à-vis des États tiers souhaitant intégrer l’UE puisque l’abolition de la peine de mort est une condition d’adhésion. Cela créerait un dangereux précédent qui pourrait imprégner toute discussion future relative aux droits de l’homme ou bien du traitement de ressortissants français poursuivis par la justice d’un autre pays, alors même que les autorités françaises ont un rôle important à jouer à ce niveau.

POUR LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME

Ces condamnations à mort privent les autorités françaises, les familles de terroristes, les familles de victimes et la société toute entière d’un certain nombre de renseignements et de réponses, qui pourraient être utiles à une meilleure compréhension du phénomène de radicalisation et de terrorisme en France.

Enfin, quand bien même l’État irakien accéderait aux demandes de commutations des peines des Français, il n’existe aucune garantie sur la suite. Une commutation signifierait leur détention à la perpétuité, dans un pays qui n’a pas les moyens matériels de supporter le coût d’un tel emprisonnement. Les prisons irakiennes sont surpeuplées, la corruption y est grande, ce qui vient faciliter les évasions.

⁶¹ Communiqué du collectif des Familles unies sur les condamnations à mort de ressortissants français en Irak, Collectif Familles Unies, mai 2019.
[En ligne : http://www.famillesunies.fr/2019/05/27/communique-du-collectif-des-familles-unies-sur-les-condamnations-a-mort-deressortissants-francais-en-irak/]

⁶² « Mobilisation d’associations pour des djihadistes français condamnés à mort », Reuters, 28 mai 2019
[En ligne : https://fr.reuters.com/article/topNews/idFRKCN1SY1GR-OFRTP].

⁶³ Otages : « le devoir de l’État est d’assurer la sécurité des Français », Le Point, 11 mai 2019
[En ligne : https://www.lepoint.fr/societe/otages-le-devoir-de-l-etat-est-d-assurer-la-securite-des-francais-ledrian-11-05-2019-2312014_23.php]

⁶⁴ « TRIBUNE. “Ce serait un immense déshonneur pour notre pays” : l’appel de 45 avocats contre les condamnations à mort de neuf Français en Irak », France Info, 3 juin 2019
[En ligne : https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/francais-condamnes-a-mort-en-irak/tribune-ce-serait-un-immensedeshonneur-pour-notre-pays-l-appel-de-44-avocats-contre-les-condamnations-a-mort-de-neuf-francais-en-irak_3469333.html]

EXÉCUTIONS ?

L’État irakien est l’un des États qui exécute le plus au monde. Si les étrangers condamnés à mort pour terrorisme en Irak n’ont pour le moment pas été exécutés⁶⁵, on recense néanmoins plus de 177 exécutions ces deux dernières années. Le nombre de condamnations à mort a quadruplé en une année, passant d’au moins 65 en 2017 à 271 condamnations en 2018⁶⁶.

Bien que les autorités françaises aient demandé à ce que la peine de mort ne soit pas appliquée aux Français, rien ne dit que les autorités irakiennes accéderont à ces demandes ; les autorités ont même démenti un accord avec Paris à ce sujet67. Au regard de ces chiffres et de ces éléments il n’apparaît pas improbable que les autorités irakiennes exécutent les condamnations prononcées à l’encontre des ressortissants français. D’autant plus que le Premier Ministre Adel Abdel Mahdi a rappelé que le gouvernement irakien n’est pas habilité à alléger les peines prononcées par les tribunaux puisque cela relève uniquement de la compétence de la Cour de cassation irakienne⁶⁸.

La Cour de cassation qui examine tous les verdicts pour « terrorisme » n’a pas encore rendu son avis sur les peines prononcées à l’encontre des onze Français. Elle serait compétente pour procéder à la confirmation, à la modification ou à l’annulation de ces verdicts.

UN POSSIBLE TRANSFÈREMENT EN FRANCE ?⁶⁹

Le transfèrement de condamnés est une procédure permettant à un ressortissant français d’exécuter en France une peine d’emprisonnement pour laquelle il a été condamné à l’étranger.

Pour être mis en oeuvre, différentes conditions doivent être remplies. Il faut notamment que les États concernés aient signé une Convention bilatérale de transfèrement. À défaut, un accord ponctuel entre les deux États est nécessaire mais il faut que la condamnation résulte d’une décision défi nitive de la juridiction étrangère. Dès lors, appliqué pour les djihadistes français condamnés en Irak, le transfèrement serait possible si l’Irak et la France établissaient un accord, mais également que la décision des juridictions irakiennes soit défi nitive, ce qui implique qu’il n’y ait pas d’appel ou que celui-ci ait été rendu.

La décision du transfèrement est une question politique et non judiciaire puisqu’elle est décidée par le Ministre de la Justice.

QU’EN EST-IL DE LA QUESTION DE LA CONDAMNATION À MORT, PEINE NON RECONNUE PAR LA FRANCE ?

La peine exécutée dans le cadre du transfèrement est en principe non modifiable. Toutefois lorsque la peine qui est prononcée à l’étranger n’est pas une peine compatible avec la loi française, les tribunaux français sont compétents pour substituer la peine étrangère à la peine française correspondant le plus à la peine initiale. Il faut également savoir que cette commutation ne permet pas de justifier une diminution de peine en raison d’une trop grande sévérité de la peine initiale.

Enfin s’agissant d’un éventuel nouveau jugement des Français condamnés en Irak, aucune poursuite ne serait possible pour des faits qui ont déjà donné lieu à une condamnation. La France ferait elle-même exécuter la condamnation dans le cadre du transfèrement. Cependant des poursuites sont envisageables pour des faits qui n’ont pas été jugés en Irak et notamment ceux commis sur le territoire français.

⁶⁵ « La France persiste et signe : ses djihadistes emprisonnés en Irak ne seront pas rapatriés », Le Monde Arabe, 13 août 2019.
[En ligne : https://lemonde-arabe.fr/13/08/2019/france-djihadistes-irak-rapatriement/]

⁶⁶ Amnesty International, Rapport mondial « Condamnations et exécutions – 2018 », p.50

⁶⁷ « Irak : la justice dément un accord avec Paris pour alléger la peine des condamnés à mort », L’Orient-Le Jour, 11 juin 2019.
[En ligne : https://www.lorientlejour.com/article/1174268/irak-la-justice-dement-un-accord-avec-paris-pour-alleger-la-peinedes-condamnes-a-mort.html]

⁶⁸ « Le Premier ministre d’Irak affirme ne pouvoir alléger les peines des jihadistes », Le Nouvel Obs, 9 août 2019.
[En ligne : https://www.nouvelobs.com/monde/20190809.AFP2211/le-premier-ministre-d-irak-affi rme-ne-pouvoir-alleger-les-peines-desjihadistes.html] ;
« Le Premier ministre d’Irak affirme ne pouvoir alléger les peines des jihadistes », Le Point, 9 août 2019.
[En ligne : https://www.lepoint.fr/monde/le-premier-ministre-d-irak-affirme-ne-pouvoir-alleger-les-peines-des-jihadistes-09-08-2019-2329159_24.php]

⁶⁹ Pour en savoir plus : Didier Rebut, « Condamnation d’un ressortissant français à l’étranger : quelles sont les conditions d’un transfèrement ? », 4 juin 2018.
[En ligne : http://blog.leclubdesjuristes.com/condamnation-pour-actes-terroristes-a-letranger-quelles-sont-les-conditions-duntransferement/]