Arabie Saoudite : la spirale de la violence


16 janvier 2016

L’année 2016 à peine entamée, l’Arabie Saoudite a déjà décapité 48 condamnés à mort, dont 47 en une seule journée. Une exécution de masse, la plus meurtrière depuis 1980, que dénonce vivement Ensemble contre la peine de mort (ECPM) dans un communiqué de presse. En 2015, le royaume avait déjà exécuté 153 personnes (contre 90 en 2014). Un nombre record depuis 20 ans.

Pour la monarchie saoudienne, menée par le roi Salman qui a succédé à son demi-frère Abdallah décédé le 15 janvier 2015, ces exécutions s’inscrivent dans une campagne menée contre al-Qaïda et le groupe Etat islamique. La plupart des décapités étaient en effet des prisonniers sunnites condamnés pour leur implication dans des attentats en 2003 et 2004. Mais certains étaient aussi d’obédience chiite sans liens reconnus avec des groupes terroristes, dont le dignitaire religieux Nimr Baqr Al-Nimr.

En octobre 2014, Nimr al-Nimr, religieux chiite non violent, mais opposant virulent à la dynastie des al-Saoud, avait été condamné par un tribunal de son pays à la mort par décapitation, suivie de crucifixion, pour sédition. Son neveu, Ali Mohammed al-Nimr, âgé de 17 ans seulement au moment des faits qui lui sont reprochés (participation à une manifestation), avait écopé de la même peine dans la foulée. Le cheikh al-Nimr avait été la figure de proue du mouvement de contestation qui avait éclaté en 2011 dans l’est de l’Arabie saoudite, où vit la majorité de la communauté chiite. Il demandait des élections libres, prenant toujours soin de ne pas recourir à la violence. Il avait été arrêté en 2012. Deux de ses partisans avaient trouvé la mort dans les manifestations qui s'en étaient suivies.

Risque d’une escalade de violence

La peine de mort est ici clairement utilisée comme arme politique. « En plus d'être une négation du droit fondamental de tout être humain à la vie, la peine de mort ne doit pas être une arme diplomatique, ni un outil de contrôle de la population. Le régime saoudien a fait un pas de plus vers la barbarie dans une région déjà profondément déstabilisée. Dans ces conditions, on ne peut que redouter une escalade de violence au Moyen-Orient », déplore dans un communiqué de presse Raphaël Chenuil-Hazan, directeur d'Ensemble contre la peine de mort (ECPM).

En effet, compte tenu de la très grande popularité du cheikh Nimr al-Nimr chez les chiites saoudiens, qui représentent 10 % de la population du royaume, il faut s'attendre à de très vives réactions dans le pays lui-même, notamment dans la province orientale. L'exécution de Nimr Baqr al-Nimr risque de provoquer une poussée de « colère des jeunes » chiites d'Arabie saoudite, a prévenu le frère du cheikh, Mohammed al-Nimr. Ce dernier appelle au calme et « espère qu'il y aura un mouvement de protestation pacifique ». « Nous rejetons la violence et l'affrontement avec les autorités tout comme le martyr cheikh », explique-t-il.

Vives tensions avec le monde chiite

Dans le monde chiite, la réaction la plus vive est venue d’Iran. Téhéran a accusé Riyad de « soutenir les terroristes » tout en « supprimant » les opposants. « Le crime de l’exécution du cheikh Al-Nimr fait partie du fonctionnement criminel de cette famille [Al-Saoud] traîtresse. Le monde islamique va exprimer son indignation et dénoncer ce régime infâme autant que possible », a déclaré l’ayatollah Ahmad Khatami. « Je ne doute pas que ce sang pur tachera la maison [de la famille] Al-Saoud et qu’ils seront balayés des pages de l’histoire », a ajouté le dignitaire iranien.

A Bahreïn, des dizaines de personnes ont manifesté dans le village chiite d’Abou Saïba, à l’ouest de Manama, la capitale, pour dénoncer cette exécution. En Irak, Khalaf Abdelsamad, le chef du bloc parlementaire du parti chiite Al-Daawa – le parti du premier ministre Haïder Al-Abadi – a exhorté le gouvernement à « fermer l’ambassade d’Arabie saoudite en Irak, expulser l’ambassadeur et exécuter tous les terroristes saoudiens emprisonnés en Irak ». « L’exécution du cheikh Al-Nimr aura de graves conséquences », a-t-il prévenu. Le Hezbollah chiite libanais a également condamné « un crime haineux [perpétré] sur la base de fausses allégations, de lois corrompues et d’une logique pervertie ».

Par Camille Sarret
Photo : Des musulmans chiites brandissent le portrait du cheikh Al-Nimr au lendemain de son exécution, dans le Cachemire indien, samedi 2 janvier. AFP