Campagne Iran : comment ECPM lutte contre la peine de mort dans ce pays
16 mai 2013
1) L’Iran semble faire l’objet d’une attention particulière de la part des militants abolitionnistes dans le monde et aussi d’une campagne spécifique d’ECPM. Pourquoi ?
Il suffit de regarder les chiffres et la place de la peine de mort en Iran pour comprendre. On s’aperçoit que la peine de mort est utilisée dans ce pays de manière massive : l’Iran est le deuxième pays en nombre d’exécutions mais, rapporté au nombre de la population, ce pays dépasse la Chine en terme d’exécution par habitant et donc cela nous parait être une situation particulièrement grave. Depuis très longtemps le cas de l’Iran est alarmant mais il devient de pire en pire ; en particulier depuis 2009 et les élections présidentielles qui ont entrainées une répression sévère. On s’aperçoit alors qu’en Iran la peine de mort est utilisée de diverse manière, à la fois pour opprimer et oppresser la population mais aussi pour réprimer tout opposition ; qu’elle soit politique, ethnique, religieuse ou autre.
2) Face à cette situation, quel peut être le rôle d’une association comme ECPM ? Quels sont les objectifs particuliers que vous espérez atteindre ?
Nous avons remarqué que sur l’Iran en particulier il est extrêmement difficile d’obtenir de l’information. C’est un pays fermé, non démocratique et où il n’existe aucune transparence. Il y en a d’autres comme celui-là, la Chine par exemple ; même si pour la Chine nous parvenons quand même à obtenir un certain nombre d’information par les militants sur place. Aujourd’hui les militants et les activistes droits de l’homme en Iran ne peuvent plus exercer au grand jour, ce n’est absolument plus possible et donc l’accès à l’information devient un réel problème. ECPM doit contribuer, en s’appuyant sur le travail des militants de terrain notamment, à faire connaître la réalité judiciaire de la peine de mort en Iran. L’autre particularité c’est l’importance de la diaspora iranienne. Il y a en fait plusieurs diasporas iraniennes, principalement en Europe du Nord, en Europe Occidentale et en Amérique du Nord, et elles peuvent avoir du mal à travailler ensemble. C’est dans ce cadre qu’ECPM doit d’ailleurs avoir un rôle moteur, c’est-à-dire faire travailler ensemble des personnes qui, jusqu’à maintenant, n’avaient pas, pour des raisons politiques, idéologiques, historiques, pensé à travailler sur cette question de la peine de mort en Iran. Et puis, notre travail c’est aussi faire l’agrégat à la fois des organisations iraniennes et aussi de toutes les autres organisations de droits de l’homme que sont par exemple Amnesty International, Human Right Watch, la FIDH sur la question de la peine de mort en Iran. Cette mobilisation internationale doit pouvoir apporter un soutien aux militants abolitionnistes en Iran en exerçant une pression constante sur les autorités iraniennes et leurs partenaires.
3) Par quels types d’actions concrètes est-ce que ce travail se traduit-il ?
Cela passe tout d’abord, comme je le disais, par plus de transparence. Et plus de transparence, c’est arriver à faire ressortir des informations depuis le pays. Le rapport annuel 2012 sur la peine de mort en Iran que l’on publie en partenariat avec Iran Human Right est par exemple un outil extrêmement efficace et utile. Il s’agit de montrer au monde la réalité de la peine de mort et de son utilisation dans ce pays en essayant d’en analyser les ressorts par exemple par rapport aux exécutions publiques, aux exécutions secrètes, à celles de mineurs, et de toutes les différentes catégories. Aussi, afin de donner toute leur place dans le débat aux défenseurs de l’abolition sur place, nous allons éditer cette année un ouvrage d’Emadeddin Baghi qui continue de militer pour l’abolition en Iran malgré plusieurs incarcérations. Nous prévoyons également de publier en 2014, dans notre collection des « cahiers de l’abolition » un exemplaire spécifique sur l’Iran. Il alimentera le débat via une approche plus scientifique par des contributions et des analyses d’universitaires et de militants engagés sur la problématique de la peine de mort en Iran.
Nous y parvenons aussi en menant des actions communes de lobbying international, en travaillant avec les organisations de l’ONU et en partageant nos informations avec eux. En ce moment nous menons d’ailleurs une importante action de lobbying au niveau de l’UNODC, l’office des Nations Unies contre la drogue et le crime, et de l’Union européenne. Nous avons lancé une pétition cette année, en avril, une pétition internationale co-signée par plusieurs organisations de droits de l’homme et des organisations iraniennes, pour demander à l’Union européenne et à ses Etats membres d’arrêter de financer, via les programmes de l’UNODC en Iran, des programmes de lutte contre la drogue qui, in fine, financent la peine de mort dans ce pays puisque l’on sait que 75% des exécutions et des condamnations le sont en Iran pour trafic de drogue. J’étais moi-même fin avril à Bruxelles pour défendre cette initiative et présenter le rapport 2012 sur la peine de mort en Iran auprès de la délégation Iran et la sous-commission des droits de l’homme du Parlement européen.
4) Du 12 au 15 juin prochain se tient à Madrid le cinquième Congrès mondial contre la peine de mort pendant les élections présidentielles en Iran. Des manifestations particulières sur ce thème seront-elles organisées pendant le Congrès ? De manière plus large, quel rôle peut jouer un Congrès comme celui-là sur une question aussi complexe que l’Iran ?
Effectivement, le 14 juin est le jour du premier tour de l’élection présidentielle en Iran et il se trouve que c’est aussi le dernier jour des débats du Congrès mondial contre la peine de mort. Pour nous, ce sera l’occasion de mettre l’Iran à l’honneur, mais négativement. Une grande table ronde sera d’ailleurs organisée sur le thème de l’utilisation de la peine de mort en Iran et sur les conséquences des exécutions publiques sur la population de ce pays. Tous les plus grands spécialistes de cette question seront présents avec notamment la participation de Mr Ahmed Shaheed, le rapporteur spécial des Nations-unies sur la situation des droits de l’homme en Iran, Mahmood Amiry-Moghaddam, le représentant d’ Iran Human Rights (IHR), ou encore Roya Boroumand, le présidente et fondatrice de Boroumand Foundation. Ce congrès sera pour nous l’occasion de bien appuyer et d’accentuer la mobilisation internationale sur la situation de la peine de mort dans ce pays via des débats donc mais via aussi des expressions artistiques, des dessins, des caricatures, des peintures et des témoignages. Beaucoup de témoins pourront alors expliquer quelle est la réalité de la peine de mort dans leur pays. Ce sera aussi une bonne opportunité pour toutes les organisations iraniennes, ou pour celles qui sont intéressé par la situation en Iran, de partager leur stratégie sur la peine de mort, de se rencontrer, de diffuser leur information, leurs outils. Je crois que ce sera véritablement une excellente occasion de pouvoir faire parler de la peine de mort en Iran et de pouvoir porter au niveau mondial notre campagne sur la situation dans ce pays.
5) Pensez-vous que ces actions puissent avoir un impact sur un pays particulièrement réputé pour faire la sourde oreille à toute forme de pression internationale et très fermé sur l’extérieur.
Oui, en même temps c’est un pays fermé qui reçoit de l’argent de l’Europe. C’est un pays fermé qui a quand même des partenariats économiques et politiques avec plusieurs organisations internationales et notamment onusiennes. C’est un pays fermé qui n’est cependant pas la Corée du nord et qui a besoin d’une ouverture vers l’extérieur. Et cette ouverture, elle se fait culturellement, elle se fait commercialement et elle se fait politiquement. Nous, sur tous ces fronts, le culturel, le commercial et le politique, nous voulons rappeler que les droits de l’homme doivent être respectés dans ce pays et en particulier l’abolition de la peine de mort.
Propos recueillis par :
Antonin Bravet