Cheikh Diop Dionne : « Au Sénégal, nous n’envisagerons jamais de revenir sur l’abolition »


27 janvier 2017

Depuis quelques semaines, des députés sénégalais réclament le rétablissement de la peine de mort. Peu nombreux mais particulièrement remarqués, ces parlementaires semblent déterminés, 50 ans après la dernière exécution, à rouvrir le débat : une proposition de loi a été déposée à l’assemblée nationale, et certains acteurs de la société civile appellent à un référendum sur la question. Cheikh Diop Dionne, lui-même député du Sénégal, participait en décembre dernier au séminaire parlementaire de Ouagadougou organisé par ECPM et le parlement du Burkina Faso. Il a accepté de répondre à nos questions.

Comment la question du rétablissement de la peine de mort est-elle revenue sur la scène publique au Sénégal ?

Le Sénégal est un pays abolitionniste de fait depuis plusieurs décennies, et de droit depuis 2004. Le président Abdoulaye Wade avait en effet pris l’initiative d’introduire dans la réforme constitutionnelle un texte qui abrogeait définitivement la peine de mort au Sénégal. Nous pensions donc que les débats sur la question étaient définitivement clos et derrière nous. Pour autant, la montée du terrorisme international et le développement du grand banditisme, ainsi que la prolifération de crimes odieux a fait apparaître chez nos populations une crainte qui amène des pans de notre société à poser, de nouveau, la problématique de la peine de mort. Un événement en particulier a fait enfler le débat. La vice-présidente du Conseil économique social et environnemental a été récemment sauvagement agressée et tuée dans son domicile par son chauffeur. Depuis lors, certains de nos collègues qui s’étaient avancés dans l’élaboration d’une proposition de loi pour le rétablissement de la peine de mort, ont vu leurs rangs grossir. Malheureusement, nous constatons aujourd’hui que certains de nos collègues, bien qu’en faible nombre, réclament la résurgence de la peine de mort pour décourager ces crimes odieux et apporter une réponse du sang par le sang.

C’est donc le vieil argument d’une peine de mort qui serait dissuasive qui est avancé ?

Oui, et aussi un argument de la peine de mort comme réponse apportée à ces criminels. Une sorte de vengeance, de vendetta collective. Pour ce qui est de la dissuasion, il a été prouvé hier lors de nos débats qu’il n’y a pas de preuve scientifique qui valide la thèse selon laquelle l’abolition de la peine de mort entraînerait ipso facto une augmentation des crimes. Aucune. C’est une vue de l’esprit. Il ne faut pas que face au terrorisme, face à ces agressions nous répondions en ôtant la vie aux criminels, pensant que cela permettrait d’en diminuer le nombre. Il y a toujours des jeunes pousses, il y a des actions plus importantes à mener. Le président Macky Sall a d’ailleurs évoqué, lors du forum de Dakar sur la paix et la sécurité, l’éducation comme facteur important pouvant permettre de faire reculer la criminalité. La peine de mort n’est pas la solution. Au Sénégal, nous n’envisagerons ni à court, ni à moyen, ni à long terme de revenir sur cette disposition.

À l’époque de l’inscription de l’abolition dans votre discussion, il y avait déjà eu un débat au Sénégal ?

Bien sûr, l’abolition s’était faite par voie référendaire. Il y a donc eu un large débat au niveau de l’assemblée nationale, au niveau des populations… tous les niveaux de la société civile avaient été impliqués, jusqu’aux sectes maraboutiques. Je me rappelle que l’un de nos éminents professeurs de l’université de Dakar, un islamologue, s’était invité dans ce débat et avait estimé que dans un pays à 95 % musulman, abolir la peine de mort était en soi un péché. Cela n’a pas empêché les Sénégalais de voter, dans leur immense majorité, pour les amendements constitutionnels abolissant la peine de mort.

Les députés qui réclament aujourd’hui un rétablissement de la peine de mort utilisent-ils également les arguments religieux ?

Non. Le débat est parti d’un député de la banlieue de Dakar. Une banlieue confrontée notamment aux problèmes de grand banditisme. Depuis très longtemps, des crimes de toutes sortes y ont lieu. Des vols et des agressions sont commis, des bandes armées oppriment la population… Ce député estime donc être dans son bon droit en adressant un clin d’œil à ses mandants et en leur disant : « Je prends en charge vos préoccupations, et je demande à ce que la peine de mort soit rétablie. » Voilà. C’est parti d’une action isolée, sporadique. Cela relève de phénomènes criminels qu’on ne voit pas qu’au Sénégal, qui sont planétaires… Et certains pensent que la réponse à y apporter serait de rajouter du sang au sang déjà versé.

Est-ce que vous pensez qu’il y a vraiment une augmentation de la criminalité, ou un effet de médias qui hystérise le débat ?

Il y a effectivement plus de crimes, mais nous sommes passés d’une population d’environ 3 millions au moment de l’indépendance (en 1960 – ndr) à aujourd’hui une population de 15 millions ! Il est donc normal, quand la population croît, dans un pays où le taux de natalité reste élevé, qu’il y ait une augmentation en terme absolu de la criminalité. Ça, c’est un premier fait. Il y a aussi le fait que les médias aujourd’hui sont plus nombreux. Les médias en ligne sont apparus et l’information n’est plus contrôlée. Et comme partout, les faits divers retiennent particulièrement l’attention. Dans une telle configuration, à chaque fois qu’il y a un incident quelque part, c’est relayé au niveau national, le débat est porté partout, et cela étouffe l’actualité réelle. Cela contribue à apeurer les populations et à faire naître ce sentiment que l’État faillit à son devoir régalien d’assurer la sécurité des personnes et des biens. Les médias mettent le doigt sur des faits, non pas pour sensibiliser les populations, mais plutôt pour vulgariser des actes qui sont hautement répréhensibles, ce qui peut poussent les populations à chercher des moyens d’assurer leur sécurité par elles-mêmes. Il existe néanmoins un problème de sécurité lié aux villes qui s’étendent dans des proportions gigantesques. Assurer la sécurité dans ces conditions reste une équation importante à résoudre pour les autorités.

Pensez-vous que la question du retour de la peine de mort reviendra de manière récurrente à l’avenir ?

Oui. Je pense que même si la question n’est pas éludée, elle n’est pas traitée sérieusement. D’après moi, il ne faut pas provoquer un débat national, car cela reviendrait à accepter l’idée d’une remise en question des acquis fondamentaux. Malgré tout, quand une question est posée, il faut des réponses. Et ces réponses passent par un accroissement des dépenses de sécurité, par une plus grande proximité de la police auprès des populations, davantage de connectivité entre ceux qui assurent la sécurité et les populations pour lesquelles cette sécurité est assurée.

De manière générale, est-ce que la question du respect des droits de l’homme est fréquemment abordée dans la société sénégalaise ?

Le Sénégal a quand même, il faut le reconnaître, une avance assez considérable dans la sous-région et dans la région Afrique en général. Mais je n’aime pas l’auto-glorification. Aujourd’hui nous sommes à l’heure de la mondialisation, et être premier dans une classe de mauvais élèves n’est pas en soi un signe de fierté. Il ne faut pas regarder ceux qui sont derrière nous. Il nous faut nous mettre aux normes et travailler en considération des normes internationales. Nous avons signé les conventions internationales sur tous les droits humains, et nous les avons intégrées à notre code juridique, ce qui nous vaut une certaine renommée sur la scène internationale. Ce qui ne nous empêche pas de devoir continuer à renforcer ces droits.