De tout mon cœur pour vous tous : MERCI !
11 juillet 2015
Je ferme les yeux. Les images affluent et se bousculent dans ma mémoire, si vivaces encore qu’elles brûlent mon âme, mon cœur saigne encore.
Révision du procès, fin de l’audience, une salle bondée de journalistes et de photographes… L’atmosphère est pesante, les émotions sont énormes. L’image de Serge, si fatigué, si stressé, soucieux mais courageux et rempli d’espoir que la justice l’emportera…
Fin de l’audience, la foudre nous écrase. Nos craintes, nos peurs se confirment, nos douleurs, nos souffrances nous étreignent si forts, l’air est irrespirable, étouffant… Serge se rapproche du peloton d’exécution. Le compte à rebours s’est mis en route…
Je traverse les couloirs du tribunal, des visages défilent, je ne vois plus rien… Je suis hors du temps. Serge ! Je regarde les visages de l’avocate, des représentants de l’Ambassade de France… Nous savons que l’épée de Damoclès n’est plus qu’à quelques centimètres de mon mari. Je dois absolument le voir, le rejoindre, lui parler avant qu’ils ne le ramènent à nouveau. Le temps s’accélère et se fige en même temps, étrange sensation… Je suis incapable de me repérer. Dominique comprend et me ramène vers mon mari à travers la nuée de journalistes.
Il est au bout du couloir, la porte s’ouvre. Je dois me ressaisir durant ces quelques mètres, marcher d’un pas assuré, retrouver la force de mettre mes craintes et mes angoisses au fond de mon cœur. Je sais déjà, avant de le voir, son état, son courage, son espoir qu’il porte depuis toutes ces années à bout de bras, seul au fond de cette prison, loin de nous, sont ébranlés. Il est anéanti, en colère, découragé, désespéré…
Je m’approche et m’accroche à ses barreaux, face à lui. Un seul regard, je sais… Nous ne nous sommes jamais voilé la face. Et les paroles de Serge sortent comme une foudre qui vous paralyse : « Je suis foutu…. » Le désespoir, le découragement l’a envahi, notre pire ennemi dans ce combat depuis presque dix ans déjà.
J’ai toujours été consciente des mots « peine de mort ». Il me parle de l’audience, de la révision du procès, de la terreur palpable, des exécutions… La douleur m’étreint mais pas de place pour des faiblesses, ce n’est pas le bon moment de s’apitoyer. Cette situation, je l’imaginais depuis des mois, avant même les exécutions de janvier. Mon espoir qui est ma bouée de sauvetage, ce jour-là, ne tenait plus qu’à un fil. Ce fil, c’est vous ! Toutes ces heures de discussion, de réflexion, d’évaluation de la situation passées avec ECPM, les avocats et la diplomatie… Toutes ces heures passées entre les quatre murs de ma chambre d’hôtel, les allées et les retours à Jakarta… Ce travail de fond ensemble, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, nous a épuisés émotionnellement et physiquement.
Ce jour-là, le désespoir de mon mari n’a duré que quelques minutes. « Je suis foutu ! », a-t-il dit. Je réponds : « Non ! » . « La mobilisation ! », je lui explique en quelques mots, car le temps nous est compté. Le travail de tous : ECPM, Me Richard Sédillot… « Ils n’attendent qu’un signal de nous. L’espoir ne s’est pas complètement éteint. Nous sommes prêts à agir. Un coup de fil à passer ! », lui ai-je dit. « C’est ta vie et c’est ta décision. Nous, on est derrière toi, on te suit, on est prêt, tu n’es pas seul ! »
Tout s’est joué à ce moment là ! Un coup de poker, une dernière carte pour lui sauver la vie. J’avais besoin de vous pour le protéger, pour le sauver du peloton d’exécution. La mobilisation s’est mise en place très rapidement grâce à ECPM. Je ne savais pas quel impact elle pouvait avoir. Impossible de le lui dire ! Impossible de me conforter dans l’idée de ne pas décevoir l’étincelle d’espoir qui renaissait, son courage qui reprenait le dessus. A ce moment-là, vous étiez tous présents. L’étincelle venait de vous, de votre humanité, de votre solidarité, au-delà de toutes les frontières.
Puis, le compte à rebours s’accélère. Nous continuons à nous battre et à espérer grâce à vous tous, à vos actions, à vos mots de soutien. Mais la fatigue est bien présente, les insomnies, le manque d’appétit, le stress, les craintes à l’annonce des isolements…. Le seul espoir qui nous sort de l’obscurité des ténèbres, c’est vous. Et nous avons permis un moment de soulagement pour Serge. Mais je n’oublierai jamais les douleurs et les souffrances pour les autres condamnés qui ont été exécutés, les douleurs et les souffrances pour leurs proches. Nous en resterons brisés et anéantis, rien n’effacera ces images, ces visages …
Je ne pensais pas écrire autant, pourtant, par ces lignes, c’est avec respect, sincérité et beaucoup d’émotions que je vous lance, à vous tous, mon cri du cœur : Merci !
C’est un « Merci ! » gravé dans mon cœur rempli de tous vos messages, de votre soutien, de votre mobilisation au-delà des frontières, de votre solidarité si forte ! Chacun de vous est une étincelle d’espoir qui a sauvé la vie de Serge.
Notre combat n’est pas fini nous avons toujours besoin de vous tous à nos côtés. Nous restons vigilants et prêts si je dois à nouveau dire à mon mari : Un coup de fil….
La solidarité et l’union font notre force, l’espoir est notre lumière. Même si l’épée de Damoclès s’est éloignée un peu, la vie de mon mari est toujours en danger. Nous sommes à nouveau dans la réflexion et le travail de fond. Mais cette fois-ci, je sais que vous êtes là !
Jusqu’à la fin de mes jours, je vous dirai toujours : Merci !
Sabine Atlaoui, épouse de Serge Atlaoui, condamné à mort en Indonésie