Deux regards sur deux libérations de condamnés à mort


13 avril 2014

La justice est œuvre humaine, elle est faillible
Par Richard Sédillot, avocat défendant des condamnés à mort

Parmi les arguments qui militent en faveur de l’abolition universelle de la peine de mort, il en est un qui, pour pragmatique qu’il soit, n’en est pas moins essentiel : il s’agit du risque d’erreur judiciaire, qui menace l’issue de tout procès, mais devient fatale lorsque la peine prononcée est capitale. De récentes études universitaires ont démontré que nombre de condamnés exécutés aux Etats-Unis étaient innocents, et que la peine de mort n’aurait pas été prononcée, si une information ignorée du jury lors de l’audience avait été portée à sa connaissance.

Un témoin qui révèle, des années après le procès, un détail essentiel passé sous silence, un test ADN qui apporte la preuve post mortem de l’innocence du condamné, le véritable coupable qui finit par consentir des aveux justifiés par un remord tardif, les membres d’un jury qui décident de révéler la pression dont ils ont été l’objet, la révélation d’une maladie mentale qui altérait les facultés intellectuelles de l’accusé… nombreuses sont les hypothèses qui permettent de réviser une décision rendue… à condition, c’est l’évidence, que le condamné n’ait pas été exécuté.

Les congrès mondiaux contre la peine de mort ont permis l’expression d’anciens condamnés, dont l’innocence a tardivement été reconnue, et dont la vie ne doit qu’à la suspension de leur exécution pendant plusieurs années. Ils furent tous émouvants, il est aisé de s’en convaincre. Ils furent aussi presque toujours – et peut-être faut-il voir là aussi l’impression que leur témoignage a fait sur l’auditoire – d’une grande sobriété et d’une réserve empreinte de dignité. J’ai parfois pensé que certains d’entre eux n’avaient pas été capables de faire face à une accusation qui dépassait tellement leur entendement, qu’ils étaient devenus des proies fragiles pour un système judiciaire parfois populiste et avide de condamnations à mort.

Au Japon, Iwao Hakamada vient d’être libéré après avoir passé 48 années dans les couloirs de la mort. Il avait été condamné pour le meurtre, commis en 1966, de la famille de son employeur. Il avait avoué les faits pendant l’enquête, revenant toutefois sur ses aveux à l’occasion de l’audience, expliquant qu’il avait été contraint par des policiers qui l’avaient interrogé sans relâche et avaient exercé sur lui une forte pression psychologique. Ce sont notamment des tests génétiques, réalisés ces dernières années, qui ont permis de douter de sa culpabilité. L’un des juges ayant prononcé la condamnation a présenté des excuses, regrettant de n’avoir pas dit plus fermement qu’il ne croyait pas en la culpabilité de Iwao Hakadama lors du procès.

Glenn Ford, détenu depuis 29 ans dans un pénitencier de Louisiane, vient aussi de voir les portes de l’antichambre de la mort s’ouvrir devant lui. Il avait été condamné pour le meurtre d’un bijoutier pour le compte duquel il effectuait des travaux de jardinage. Au cours d’un braquage, celui-ci avait été abattu. Glenn Ford avait été vu à proximité de la bijouterie au moment des faits. Il était, lors de son interpellation, en possession d’objets dérobés dans le magasin de la victime. Des témoins rapportaient encore l’avoir vu tenter de revendre une arme de même calibre que celle qui avait servi au crime. Ces éléments emportèrent la conviction du jury. Très récemment pourtant, un informateur a révélé avoir entendu un homme s’accuser de la commission du meurtre. Les autorités judiciaires ont alors déclaré que si ce témoignage avait été connu lors de l’enquête, Glenn Ford n’aurait pas été condamné.

Ces deux exemples rappellent, s’il le fallait encore, que la justice est œuvre humaine et qu’elle est donc nécessairement faillible. Si les abolitionnistes convaincus estiment que l’incompatibilité théorique entre la justice et la mort se suffit en elle même, il faut encore user du spectre de l’erreur judiciaire pour convaincre les plus réservés. Cet argument trouble en effet souvent ceux qui, estimant que la peine de mort n’est pas, en elle-même, illégitime, considèrent toutefois que son application ne peut se concevoir que si la culpabilité de l’accusé est certaine. Il n’existe pourtant pas de certitude en matière judiciaire, quelques évidentes que puissent paraître les charges qui pèsent contre l’accusé, quelque puisse être l’impartialité du juge. C’est d’ailleurs pour cette raison que la plupart des systèmes judiciaires connaissent une procédure de révision.

Glenn et Iwao ont échappé à l’exécution. C’est heureux. Leur libération, pourtant, entretient le souvenir de tous les innocents dont le sort fut plus funeste.

Combien d’innocents ?
Par Desislava Raoul, responsable communication ECPM, avec Charlène Martin

« Serait-il possible d’avoir une réaction d’Ensemble contre la peine de mort ? C’est urgent. » « Qui peut venir sur le plateau ce soir ? C’est en direct.» « Envoyez-nous quelqu’un d’ECPM pour réagir dans notre émission, c’est très important ! Cette libération est exceptionnelle quand même…»

Oui, c’est vrai. C’est très important. Mais pour nous, chaque libération d’un condamné à mort est une victoire exceptionnelle. Même si les médias se passionnent parfois largement plus. Oui, bien sûr, quelqu’un d’ECPM viendra dans votre émission pour réagir…

Les médias aiment bien les histoires des anciens condamnés à mort. Et tant mieux. Car elles les obligent à s’éloigner des statistiques et leur dévoilent un univers bien plus bouleversant que celui des chiffres. Dans les témoignages des anciens condamnés à mort dominent les souvenirs de la torture, des aveux extorqués sous la contrainte, de l’horreur permanente. Arrivent ensuite les allusions aux soutiens des proches et des inconnus, aux annonces des tests ADN. Mais les miracles, souvent inespérés, qui sauvent des vies sont rares.

11 mars 2014. Glenn Ford est libre. Il a 64 ans. L’afro-américain en avait 35 au moment de sa condamnation à mort. Il clame son innocence depuis toujours : il n’était pas sur le lieu du crime, il n’a pas assassiné le bijoutier-horloger qui l’employait. Mais en 1984, les juges, tous blancs, sont unanimes : chaise électrique. Le miracle inespéré arrive à la fin de l’année dernière, presque 30 ans plus tard. 30 ans… Ce miracle est un document de justice selon lequel un informateur de la police a entendu un homme s’accuser du meurtre. Suit une requête du parquet visant à annuler la condamnation et le juge ordonne la libération du condamné ayant passé le plus d’années dans les couloirs de la mort aux Etats-Unis. Dans les prisons de Louisiane, après la sortie de Glenn Ford, 83 hommes et 2 femmes sont toujours condamnés à mort. Combien d’innocents parmi eux ? Le système judiciaire américain ne saura pas répondre à cette question.

27 mars 2014. Iwao Hakamada est libre. Il a 78 ans. Et il tient un record terrifiant. Ce Japonais est le condamné ayant passé le plus de temps dans un quartier de condamné à mort au monde, 47 ans. 47 ans… Arrêté en 1966 et reconnu coupable d’un quadruple meurtre en 1968, il devait être pendu. Quelques décennies passent. En 2007, un des trois juges qui l’avaient condamné déclare publiquement ses remords, Iwao Hakamada est peut-être innocent, dit-il. Encore des années passent avant l’arrivée du miracle inespéré. Cette fois-ci, sous forme des résultats de tests ADN sortis très récemment. Ils n’ont pas permis d’établir de concordance entre l’ADN d’Iwao Hakamada et celui retrouvé sur les vêtements que, selon l’accusation, portait le meurtrier.

Mais le daiyo kangoku est un cauchemar. C’est la période de détention provisoire pendant laquelle un suspect peut être interrogé par des policiers sans qu’aucune règle n’encadre la durée des interrogatoires auxquels les avocats ne sont pas autorisés à assister. Elle peut durer jusqu’à 23 jours. Frappé, menacé, empêché de boire, Iwao Hakamada tient 20 jours. Et les policiers parviennent à extorquer des aveux. Presque 50 ans plus tard, Iwao Hakamada peut espérer un nouveau procès, peut-être équitable.

Combien d’innocents sont condamnés à mort au Japon ? Le système judiciaire japonais ne saura pas répondre à cette question. Mais il maintient son système du daiyo kangoku.

Combien d’innocents sont condamnés à mort dans le monde ? Les systèmes judiciaires, les mêmes qui peuvent avoir des remords, qui avouent parfois qu’ils peuvent se tromper mais qui continuent de condamner à la peine de capitale, ne sauront pas répondre à cette question.