Dossier : Le Tchad, vainqueur d’un combat abolitionniste


26 mai 2020

Mardi 28 avril, l’Assemblée nationale tchadienne a voté l’abolition de la peine de mort pour les actes de terrorisme, autorisée jusqu’alors. Fortement engagée sur le terrain depuis plusieurs années, ECPM se félicite de cette finalité et revient sur les étapes franchies avec détermination par ce pays d’Afrique central pourtant en proie à un contexte géopolitique instable.

© Flickr / Marco Verch
© Flickr / Marco Verch

« Le Tchad est devenu le 22e État africain à abolir en droit la peine de mort pour tous les crimes. 
C’est un signal fort adressé aux autres pays du monde et contribue à l’abolition progressive de la peine de mort en Afrique. »


Virginie Battu-Henriksson, porte-parole de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, le 24 mai 2020

« Les députés ont voté à l’unanimité l’abolition de la peine de mort pour les actes de terrorisme » a déclaré Djimet Arabi, ministre de la Justice à l’origine du projet de loi. Adopté en Conseil des ministres le 19 décembre 2019, celui-ci modifie la loi n°34 qui réintroduisait la peine de mort pour les auteurs d’actes terroristes. Cette loi devient effective dès lors que le Président Idriss Déby Itno promulgue les nouvelles dispositions, fin mai 2020.

L’abolition de la peine de mort au Tchad, un long chemin sinueux

En décembre 2014, une loi d’abolition de la peine de mort est adoptée concernant les crimes de droit commun. La peine capitale sera remplacée « par l’emprisonnement à vie défini comme une peine perpétuelle sans possibilité de libération conditionnelle » avait précisé M. Hassan Sylla Bakari, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, à l’époque.

Suite au double attentat-suicide du 15 juin 2015, les autorités tchadiennes procèdent à un renforcement considérable des mesures de sécurité à N’Djamena, la capitale. Le pays se dote d’un arsenal juridique sévère, réintroduisant la peine de mort pour les personnes commettant un acte terroriste, le finançant ou procédant au recrutement et/ou à la formation de personnes en vue d’un acte de terrorisme, quel que soit le lieu de commission. « À grand mal, de grands remèdes » affirmait Moussa Kadam, premier vice-président de l’Assemblée nationale en 2015.

Le terrorisme, motif courant de réintroduction de la peine de mort

« Le développement du terrorisme et la cruauté de ses actions réveille dans le public la pulsion de mort » déclarait Robert Badinter. Du fait du caractère flou du concept – depuis les années 1960, les Nations Unies ont élaboré 19 instruments juridiques internationaux dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, aucun ne fournit de définition du terrorisme – la lutte contre le terrorisme est souvent invoquée comme une excuse pour violer les normes internationales de défense des droits de l’homme, notamment concernant la peine de mort. Plusieurs pays, tels que le Tchad, la Tunisie, qui imposaient un moratoire sur la peine de mort, l’ont réintroduit dans leur lutte contre le terrorisme.

« Nous devons surveiller cette fragilité, car nous constatons que, face au terrorisme, les pays peuvent reculer du jour au lendemain. »
Maya Sahli Fadel, Rapporteur spécial des Nations Unies, lors du 7e Congrès mondial contre la peine de mort à Bruxelles (2019)

Carte : Atlas of Chad - Wikimedia Commons

Le Tchad, un pays en proie au terrorisme

Depuis 2014, le Tchad est sous la menace de groupes djihadistes sur son flanc ouest, dans la province du Lac. Les combattants terroristes multiplient les attaques meurtrières contre civils et militaires. Il y a un mois, une centaine de soldats tchadiens ont péri dans une attaque du groupe Boko Haram, la pire défaite jamais connue par l’armée tchadienne. En représailles, 1000 terroristes et 52 soldats tchadiens auraient trouvé la mort dans une vaste offensive militaire, lancée par le président; 58 présumés membres de Boko Haram ont été fait prisonniers pour être jugés. Trois jours plus tard, 44 ont été retrouvés morts dans leurs cellules, suite à l’ingestion d’une substance toxique d’origine indéterminée.

La France s’est engagée très tôt pour soutenir politiquement et militairement les États situés autour du lac Tchad. Le caractère transfrontalier de la menace terroriste impose une réponse régionale qui a pris la forme de l’opération Barkhane. Lancée en août 2014, cette opération a pour but d’apporter un soutien logistique et en matière de renseignement aux pays de la bande sahélo-saharienne, regroupés au sein du « G5 Sahel ». L’abolition de la peine de mort par le Tchad, vise à « harmoniser notre législation contre le terrorisme avec celles de tous les pays du G5 Sahel qui ne prévoient pas la peine de mort pour les actes de terrorisme » a expliqué Djimet Arabi, ministre de la justice, suite au vote du projet de loi. Seul le Burkina Faso a abrogé la peine de mort au sein du G5 Sahel. La peine capitale est toujours inscrite dans la loi des autres pays, même si elle n’est plus appliquée depuis des années.

« G5 Sahel »
Créé en février 2014, Le « G5 Sahel » regroupe la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad et le Burkina-Faso, et a pour objectif d’améliorer la coordination des pays pour les politiques de développement et dans les activités de sécurité et de défense.

Djimet Arabi, ministre de la justice, Raphaël Chenuil-Hazan, directeur général d'ECPM et le Président Idriss Déby.

De gauche à droite : Djimet Arabi, ministre de la justice, Raphaël Chenuil-Hazan, directeur général d'ECPM et le Président Idriss Déby.

ECPM, un renfort déterminant dans l’évolution de la législation

Depuis la réintroduction de la peine de mort au Tchad, ECPM fut un appui stratégique dans les négociations en vue de l’abolition totale de la peine de mort. La rencontre avec le ministre tchadien de la Justice, Ahmat Mahamat Hassan, a notamment permis d’aborder les prochaines étapes de l’abolition, en marge de la 60e Session de la CADHP (Commission africaine des droits de l’homme et des peuples) à Niamey, au Niger. Ces discussions furent reprises lors du premier Congrès régional africain contre la peine de mort, initié par ECPM, à Abidjan, en avril 2018. Dans la déclaration finale du Congrès, ECPM appelait le Tchad à abroger la loi « anti-terroriste » de juillet 2015. Djimet Arabi y répondit favorablement, s’engageant à faire évoluer la législation.

Du 4 février au 8 février 2019, ECPM, seul invité non tchadien, participa à un atelier de réécriture de la loi n°34 relative à la Répression du Terrorisme, à l’initiative du Moj, à l’attention d’experts, d’associations, et autres acteurs clés de la chaîne pénale. Le 6 février 2019, lors d’un entretien, le Président Deby assura à Raphaël Chenuil-Hazan, Directeur général d’ECPM, sa volonté d’abolir la peine capitale. Grâce à de nombreux échanges tout au long du processus d’écriture et de vote, la loi d’abolition de la peine de mort pour les actes terroristes est devenue réalité.

Vers une Afrique abolitionniste !

Sur le continent africain, les quatre cinquièmes des 55 États membres de l’Union africaine ne pratiquent plus la peine de mort et, au cours des dix dernières années, seuls dix pays ont procédé à des exécutions. L’Afrique est perçue par les acteurs de la société civile comme « le prochain continent abolitionniste ». On assiste, depuis quelques années à un lent processus de retrait des lois politiques, à la demande des Nations unies, faites notamment lors de l’Examen périodique universel des pays.

Dans de trop nombreux pays, la peine de mort est utilisée pour faire taire des opposants et exciter la population. À l’inverse, l’abolition de ce châtiment inhumain peut constituer un instrument politique de réconciliation. Mettre fin à la peine capitale, c’est contribuer à la reconstruction de pays meurtris par de graves conflits internes et accompagner leur processus de réconciliation nationale, en démontrant une capacité de pardon. L’Afrique du Sud, le Rwanda et le Mozambique ont, par exemple, aboli la peine de mort à l’issue de terribles conflits sur leurs territoires. Là où la peine de mort relève de la précipitation et de la lâcheté, son abolition exige de la responsabilité et du courage politique.

Extrait des Actes d’Abidjan (2018)