ECPM salue la libération de Mohamed Cheikh Ould Mkhaitir après plus d’un an et demi de détention au secret [Communiqué de presse]
3 août 2019
Après cinq ans de détention dont presque deux au secret, le blogueur mauritanien Mohamed Cheikh Ould Mkhaitir a finalement été libéré lundi 29 juillet et se trouve désormais, depuis ce samedi 3 août, en sécurité en Europe.
Le lundi 8 juillet, le Président Ould Abdel Aziz s’était réuni avec une commission d’oulémas afin de les consulter à ce sujet. Les chefs religieux ont posé comme condition à sa libération un nouveau repentir public de M. Mkhaitir sur les réseaux sociaux et dans les médias.
Ce même jour, M. Mkhaitir publiait un message sur sa page Facebook pour la première fois depuis 2014 : « Comme je l'avais annoncé au début de 2014 et comme je l'ai répété à toutes les occasions qui s'offraient à moi devant les tribunaux, je réaffirme ici mon repentir devant Allah, le Seigneur des Mondes ». Le 11 juillet, M. Mkhaitir était en direct au journal télévisé mauritanien pour déclarer une nouvelle fois son repentir. Libéré le 29 juillet, M. Mkhaitir a été transféré quelques jours à Dakar où il a été pris en charge par la communauté internationale. Il se trouve actuellement en Europe dans un pays, que nous gardons discret pour des questions de sécurité, qui lui accordera l’asile.
ECPM salue cette décision et appelle le Président nouvellement élu Mohamed Cheikh El-Ghazouani et les autorités de son pays d’accueil à tout mettre en œuvre pour assurer la sécurité et le rétablissement du bien-être de M. Mkhaitir. ECPM appelle par ailleurs le Président mauritanien à revenir sur la réforme récente de l’article 306 du Code pénal.
Rappel des faits
Mohamed Cheikh Ould Mkhaitir, blogueur mauritanien, avait été arrêté en 2014 après avoir publié un article dans lequel il dénonçait l’instrumentalisation de la religion pour légitimer les discriminations envers la caste des forgerons. Il avait été condamné la même année à la peine de mort pour apostasie sur la base de l’article 306 du Code pénal par la Cour criminelle de Nouadhibou. Il s’agissait de la première utilisation de cet article depuis l’indépendance de la Mauritanie en 1960.
Sa condamnation à mort avait été confirmée en appel malgré un repentir exprimé deux fois et la requalification des faits en mécréance. La Cour suprême avait été saisie, afin de statuer sur la véracité du repentir ; elle avait cassé l’arrêt de la Cour d’appel pour vices de procédure le 31 janvier 2017, renvoyant l’affaire devant une Cour d’appel autrement composée. Un nouveau procès avait eu lieu les 8 et 9 novembre 2017 et M. Mkhaitir avait finalement été condamné à deux ans de prison et environ 150 euros d’amende. Ayant déjà passé près de quatre ans en prison, il était libérable immédiatement. Les autorités mauritaniennes l’ont néanmoins maintenu en détention dans un lieu tenu secret pendant près de deux ans après le verdict.
Par ailleurs, suite à la décision de la Cour d’appel de Nouadhibou en novembre 2017, le gouvernement avait annoncé l’adoption en Conseil des ministres d’une réforme de l’article 306 du Code pénal. Le nouvel article 306, adopté par le Parlement en avril 2018, rend la peine de mort systématiquement applicable en cas de blasphème, sans tenir compte du repentir.
Aller plus loin
ECPM est l’association française de référence de lutte pour l’abolition universelle de la peine de mort depuis 2000. Elle travaille depuis plus de 10 ans sur la Mauritanie notamment avec l’Association mauritanienne des droits de l’homme (AMDH) et l’association mauritanienne Rafah.
Depuis 2014, ECPM a mis en œuvre de multiples actions dans le but que M. Mkhaitir ne soit pas condamné à mort puis qu’il soit libéré conformément à la décision de justice. Outre de nombreuses actions de plaidoyer publiques ou non publiques auprès des autorités mauritaniennes et des instances internationales et régionales de protection des droits de l’Homme et différentes actions de suivi de la procédure judiciaire, ECPM en partenariat avec l’AMDH avait notamment saisi les Rapporteurs spéciaux des Nations unies (notamment en mars 2017) et la Commission africaine des Droits de l'Homme et des Peuples (CADHP).
Par ailleurs, ECPM avait appelé à de multiples reprises à la libération de M. Mkhaitir et réitéré cette recommandation dans différentes notes, rapports et documents de plaidoyer. Ainsi, en février 2019, ECPM a publié un rapport sur l’application de la peine de mort en Mauritanie intitulé Le bagne au pays des sables : peine de mort, conditions de détention et de traitement des condamnés à mort.
En avril 2018, ECPM a mené une session de plaidoyer auprès des commissaires de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) en marge de la session de la CADHP à Nouakchott, et avait notamment organisé un side-event sur la peine de mort en Afrique du Nord où le cas de M. Mkhaitir avait été discuté.
Le 4 mai 2018, 21 ONG nationales et internationales dont ECPM ont appelé la Mauritanie à abroger l’article 306 du Code pénal mettant en place la peine de mort automatique pour blasphème et à libérer M. Mkhaitir. En juin 2018, 20 ONG dont ECPM ont interpellé le Président français E. Macron sur le cas de M. Mkhaitir en amont de son voyage en Mauritanie.