Édito – À la croisée des chemins


28 février 2017

Marine Le Pen, Recep Erdogan, Rodrigo Duterte, Donald Trump… aucun doute possible : partout dans le monde, le populisme s’affirme comme le plus grand ennemi que l’abolitionnisme ait connu ces dernières années.

Ils en appellent tous au peuple, pour faire monter la pression, la haine et la vengeance à l’encontre des corps intermédiaires qui composent ces démocraties chancelantes, que sont les juges, les avocats, les journalistes et les ONG. Car, c’est bien la justice et l’État de droit qui sont les premières victimes de ce populisme bon marché.

Trump détricote tous les garde-fous de la démocratie américaine. Il s’empresse de nommer Neil Gorsuch à la Cour Suprême, un des juges les plus conservateurs que cette noble institution ait jamais connu, notamment sur la question de la peine de mort ; au nom de la lutte contre les « élites » et la bien-pensance. Le Pen et Erdogan en appellent au peuple via un référendum sur la possible réinstauration de la peine de mort dans leur pays. Cela s’avère pourtant quasi impossible au vue des engagements internationaux et nationaux des deux pays. Cet appel au peuple semble, à leurs yeux, les prémunir de toutes critiques, puisqu’ils parlent au peuple pour le peuple et par le peuple.

Le président philippin Duterte, dans le cadre de la proposition de loi N°1 « sur la réintroduction de la peine de mort dans le pays », présentée devant la Chambre des Représentants et au Sénat, impose de son côté à tous les députés (sous peine de contraintes et de conséquences sur leurs carrières) de suivre les consignes du chef, plutôt que de voter en conscience. Cette manœuvre a été découverte et dénoncée par quelques députés indépendants et engagés pour l’abolition. Il est impensable de brider la pensée individuelle des parlementaires sur un sujet aussi important.

Le discours de Robert Badinter, lors du débat à l’Assemblée nationale le 17 septembre 1981, le disait bien : « Cette communion d’esprit, cette communauté de pensée à travers les clivages politiques montre bien que le débat qui est ouvert aujourd’hui devant vous est d’abord un débat de conscience et le choix auquel chacun d’entre vous procédera l’engagera personnellement. »

De la Turquie aux Philippines, des États-Unis à la France, c’est un choix de société qui s’offre à nous.

Au sortir de la 2nde guerre mondiale, Winston Churchill disait que « Personne ne prétend que la démocratie est parfaite ou omnisciente, on a pu dire qu’elle était la pire forme de gouvernement à l’exception de toutes celles qui ont été essayées au fil du temps ». Dans ce célèbre discours, il cherchait à lutter contre des tentations de réduction du pouvoir parlementaire (notamment en amenuisant le pouvoir de veto de la Chambre des lords).

Le débat sur l’abolition de la peine capitale est au cœur des démocraties modernes. Certes, elles ne sont pas toutes totalement abolitionnistes, mais la grande majorité l’est, et le débat démocratique dans les autres pays amène à une sorte de sain aggiornamento.

Nous sommes maintenant à une croisée des chemins, où quelques pays majeurs ou symboliques sont prêts à la réintroduction.

Ce cas de figure n’est pas nouveau. Dans le passé récent, plusieurs pays ont fait marche arrière sur la voie de l’abolition : la Gambie (en 2012 après 27 années de moratoires), la Jordanie (en 2012 après 9 ans de moratoire), le Tchad (en 2015 après 10 ans de moratoire), le Pakistan (en 2014 après 7 ans de moratoire), l’Inde (en 2012 après 8 ans de moratoire), l’Indonésie (en 2015 après 6 ans sans exécution). À chaque fois les reprises des exécutions ont été justifiées soit par le terrorisme, soit comme réponse au trafic de drogue. Malgré ces freins, le nombre de pays abolitionnistes n’a cessé d’augmenter durant la même période. D’ailleurs ce phénomène d’allers-retours de certains pays concernant la peine de mort n’est pas nouveau. La Chine (premier pays d’exécution au monde) avait déjà aboli la peine de mort durant la dynastie Tang (618-907 apr. J.-C) et le Japon, alors influencé par le système judiciaire chinois, abolit la peine de mort totalement durant l’Ère Heian (794-1185 apr. J.-C). Plus récemment, les Philippines avaient déjà aboli la peine de mort en 1987 pour la réintroduire en 1993 et l’abolir à nouveau en 2006, puis ratifier le deuxième Protocole facultatif relatif au PICDP à l’ONU.

Dans ce contexte, les velléités de relance des exécutions des Maldives qui se font de plus en plus pressantes, ne seront en soi pas une révolution mais un très mauvais signe. En effet, ce pays n’a pas exécuté depuis 1953. Il romprait ainsi un moratoire de 64 ans. Nous pouvons faire quelque chose et stopper cette course en avant partout dans le monde.

Raphaël Chenuil-Hazan
Directeur général ECPM