ÉDITO « Engager de nouveaux pays à faire le dernier pas abolitionniste » 


2 juin 2020

Quelle grande nouvelle que cette abolition au Tchad ! Nous l’attendions et pour tout dire en sommes peu étonnés, tant nous avons participé de près à ce processus.

J’ai eu en effet l’occasion à plusieurs reprises de rencontrer Djimet Arabi, le volontaire ministre de la justice de ce pays, qui en deux années seulement a passé un nombre notable de lois déterminantes. Je me suis rendu à N'Djamena pour plaider la cause de l’abolition. ECPM a travaillé d’arrache-pied pour mettre la question sur la table des priorités politiques du pays au Congrès régional d’Abidjan, lors de notre Congrès mondial à Bruxelles ou en décembre dernier lors du Congrès de la Conférence internationale des barreaux (CIB), justement à N'Djamena. J’ai eu le privilège d’être reçu en 2019 au Palais présidentiel par le président Idriss Deby afin de préparer ensemble l’abolition. Il m’avait évoqué alors l’impact, alors qu'il était étudiant à Paris en 1981, de l’obstination et l’acharnement de Robert Badinter (Président d’honneur d'ECPM) et du courage de Mitterrand qui, pourtant inflexible à une opinion publique dite « réticente », avait accompli ce qu’il avait promis.

Mais le travail d'ECPM ne s’arrête pas là. Nous allons continuer à pousser ce pays à ratifier le 2e Protocole facultatif (OP2) au PICDP, seule convention internationale visant l'abolition totale de la peine de mort. Nous allons pousser les autres pays du Sahel à suivre l’exemple du Tchad. Nous allons enfin prospecter pour engager de nouveaux pays à faire le dernier pas abolitionniste.

Je ne peux pas pourtant m’empêcher d’évoquer en ces temps perturbés, où la maladie, la peur et la mort règnent par-delà les frontières, dans une pandémie mondiale faisant fi des différences et des croyances, de noter la folie de notre monde. Certains pays, assoiffés de sang et de vengeance ont continué, au nom de la « soi-disant » justice, l’entreprise mortifère qu’est la peine de mort.

Jamais l’ignominie du symbole de la peine de mort n’aura été aussi prégnante et visible. L’Etat américain du Missouri organisait il y a peu la première exécution respectant la distanciation sociale et les gestes barrières. A-t-on demandé au condamné de se laver les mains 30 secondes avant l’exécution ? Le Nigeria et Singapour ont ouvert la voie à une justice virtuelle sans humanité, sans lien direct avec le réel, en condamnant à mort par visioconférence zoom. Même Taïwan, champion de la lutte contre le coronavirus, n’a rien trouvé de plus important que d’exécuter un homme le 1 avril telle une très mauvaise blague. D’autres ont également malheureusement suivi : au Bangladesh le 11 avril, 3 au Botswana le 28 mars, 4 en Inde le 20 mars, et en deux mois, 12 en Egypte, au moins 87 en Iran, sans doute 8 en Corée du nord, au moins 12 en Arabie saoudite, 8 en Somalie, 5 aux Etats-Unis29 exécutions sont programmées pour 2020. En Iran, 2 mineurs (au moment des faits), Hayan Saeedpour et Majid Esmailzadeh, ont été exécutés les 18 et 21 avril, rappelant que les enfants sont plutôt épargnés par la pandémie mais pas par la folie des hommes.

Pour finir, les conditions exceptionnelles que nous vivons, nous obligent à reporter notre Assemblée générale 2020 (initialement prévue comme chaque année fin juin) au mois de septembre 2020. Vous pouvez d’ores et déjà lire notre dernier Rapport d’activité en ligne.

J’espère que ce sera l’occasion de vous y voir nombreuses et nombreux afin de porter ensemble plus haut l’abolition universelle !

 

Raphaël Chenuil-Hazan, Directeur général d'ECPM