Election d’Hassan Rohani en Iran, des raisons d’espérer?


5 juillet 2013

Entretien avec Djannati-Ataï Arache, astrophysicien d’origine iranienne et membre du collectif United4Iran, qui nous apporte son éclairage sur les récentes élections présidentielles en Iran et sur ce que la victoire d’Hassan Rohani est susceptible de changer dans ce pays.

ECPM: La victoire d’Hassan Rohani au premier tour de l’élection présidentielle iranienne vous a-t-elle étonné ?

Cette victoire est une demi-surprise pour moi. C’est une demi-surprise parce qu’au début nous pensions que la majorité des électeurs n’iraient pas voter, qu’ils seraient très peu nombreux à se déplacer aux urnes. A travers les réseaux sociaux, nous pouvions comprendre qu’ils avaient été dégoutés par ce qui s’était passé en 2009 (ndlr : allusion aux manifestations fortement réprimées du « mouvement vert » en Iran qui avaient fait suite aux fraudes de l’élection amenant à la réélection de Mahmoud Ahmadinejad) et semblaient résignés à ce que leur vote ne soit même pas comptabilisé. De plus, le régime voulait vraiment éviter ce qui s’était passé en 2009 et a tout fait pour limiter la campagne électorale : les candidats autorisés à se présenter n’ont été connus qu’environ 10 jours avant l’élection, les débats télévisés étaient très encadrés, et, de toute manière, les principaux cadres et leaders de l’opposition et du mouvement vert de 2009 sont toujours en prison ou assignés à résidence. Tous les facteurs étaient donc réunis pour que l’on assiste à une faible mobilisation et pourtant, dans les 48h qui ont précédé le vote, les choses se sont accélérés à une vitesse folle avec un effet d’entrainement. Les gens ont commencé à sentir qu’une certaine forme d’engouement était en train de naître derrière Rohani et se sont mis à investir les réseaux sociaux pour appeler à une mobilisation massive derrière sa candidature. Finalement, beaucoup d’Iraniens qui étaient très sceptiques à la veille de ces élections ont quand même fini par se déplacer pour voter pour lui. La participation a été supérieure à 70% et Rohani a gagné au premier tour avec plus de 50% des voix. Mais tout s’est joué à la fin et jusqu’à trois jours avant les élections, personne n’aurait été capable de prédire ce résultat.

ECPM : Cela signifie donc que, pour vous, le vote des citoyens a été pris en compte cette fois-ci ?

Je pense que cette fois-ci le régime n’a pas triché. Evidemment, on ne peut être sûr de rien mais la manière dont s’est déroulé cette élection et la proclamation des résultats est quand même beaucoup plus vraisemblable qu’en 2009. Cette année, ils ont mis sept heures pour dépouiller 800 000 bulletins, alors que pendant le même laps de temps ils avaient déjà annoncé le résultat de plus de 20 000 000 bulletins en 2009 !
Mais attention, que les choses soient bien claires : cette élection ne représente en rien un pas vers la démocratie ! Tout d’abord, ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que les électeurs n’ont pu voter que pour les candidats qui ont été autorisés à se présenter. Aucun individu ouvertement opposé au fonctionnement actuel de la République islamique n’a pu se présenter à ces élections. Pire, beaucoup de réformateurs, pourtant bien ancrés dans le système, ont même été jetés en prison quelques temps avant les élections. Ensuite, concernant le résultat, il faut aussi comprendre qu’il arrange tout le monde et que c’est probablement pour cette raison qu’il a pu être validé. Du côté du peuple, elle permet d’entretenir l’espoir d’un changement et d’une ouverture sur le monde extérieur qui permettrait, notamment, d’atténuer les sanctions économiques qui étouffent aujourd’hui l’économie du pays. En effet il faut savoir qu’il existe une inflation galopante en Iran et que les classes moyennes et ouvrières sont très durement touchées par le chômage et par une hausse extraordinaire des prix des biens de première nécessité comme les fruits, les légumes et la viande. Il existe même une réelle pénurie de certains médicaments. D’un autre côté, cette élection va permettre au régime de lâcher du lest vis-à-vis des tensions, tant intérieures qu’extérieures, tout en conservant un président proche du guide, produit du système de la République islamique et qui, sur certaines questions, est en parfait accord avec l’idéologie conservatrice. Il suffit quand même de voir qu’il porte le turban si lourd de signification en Iran ! Et puis, de toute manière, étant donné les divisions qui existaient entre les différents candidats conservateurs, il n’était pas possible d’en faire sortir un du lot, cela n’aurait pas été crédible du tout. Quoi qu’il en soit, il est clair que le régime, après avoir perdu beaucoup de légitimité suite au coup d'Etat électoral de 2009, sort renforcé de cette élection en ce qu’elle lui permet de composer avec toutes les tensions actuelles.

ECPM : Cette élection marque donc pour vous la continuité plus que le changement ?

Sur le plan politique, il y a quand même clairement un tournant. Dans les quelques meetings qui ont précédé l’élection, Rohani a parlé de sujets comme la liberté de la presse et les prisonniers d’opinion. Il a promis plus d’ouverture sur la question du nucléaire et remis en cause la politique étrangère de l’Iran… Tous ces éléments marquent un réel tournant sur le papier même si, par rapport à des personnalités comme Kahtami ou Hachemi Rafsandjani, Rohani peut être vu comme un homme de second rang. Le tournant dépendra de sa capacité à mettre en œuvre ses promesses. Pour cela, il devra faire face à beaucoup d’obstacles et devra contourner toute les instances proches du Guide. Et il devra faire assez vite car si en France on parle des « 100 jours », il faut savoir que les iraniens sont encore plus impatients ! Et si Rohani ne prend pas très rapidement quelques mesures symboliques vis-à-vis des prisonniers politiques par exemple, il sera très vite déstabilisé. Il faut absolument, s’il veut avoir une chance de faire changer les choses, qu’il s’appuie sur l’impulsion que lui a conférée cette élection et sur la légitimité dont l’a doté ce plébiscite des urnes. S’il attend trop ou s’il n’arrive pas à placer ses hommes dans les postes clefs, rien ne changera pour les Iraniens et l’on se retrouvera dans la même situation qu’avec Khatami qui n’avait pas su saisir sa chance. Mais Rohani, contrairement à Khatami, est un véritable homme politique. Il faut espérer qu’il saura comment déjouer les obstacles que le Guide ne manquera pas de lui opposer.

ECPM : Selon vous, est-ce qu’avec un homme comme Rohani aux rennes du Gouvernement, les pressions en matière de droits de l’homme pourront être plus efficaces et déboucher sur plus de résultats concrets ?

Oui, je le pense. La victoire de Rohani arrange certains cercles du régime qui espèrent améliorer l’image de l'Iran sur la scène internationale. A force, les critiques incessantes vis-à-vis de la situation des droits de l’homme gênent le régime et je pense qu’ils vont faire des efforts sur ce point. Par contre, ces derniers n’iront surement pas beaucoup plus loin que l’image, mais en tout cas, si l’Iran veut faire passer au monde un message d’ouverture et envoyer des signaux d’apaisement, ils ne pourront pas ne pas faire d’effort en la matière, cela semble indispensable.

ECPM : Pendant les deux semaines de la période électorale, alors que les caméras du monde entier étaient braquées sur l’Iran, il n’y a eu aucune exécution, officielle du moins. Hier, alors que l’attraction que représentaient les élections présidentielles était passées et que les médias du monde se redirigeaient vers de nouveaux sujets d’actualité, les exécutions reprenaient et quatre prisonniers étaient pendus à Shahr-e Kord dans l’ouest de l’Iran (Ndlr : depuis les élections présidentielles le 14 juin dernier en Iran et selon les sources officielles iraniennes, 13 personnes ont déjà été exécutées). Pensez-vous qu’après cette élection on puisse quand même espérer des améliorations sur la question bien particulière de la peine de mort dans ce pays?

La question de la peine de mort est très complexe en Iran. Déjà parce qu’elle renvoie à une réalité extrêmement douloureuse du pays mais aussi parce qu’elle renvoie à la réalité du système judiciaire iranien qui n’est pas simple du tout à appréhender. Si Rohani décide effectivement de s’attaquer à la question des droits et plus particulièrement des droits politiques, il devra passer par un examen de la situation de la peine de mort et plus particulièrement de la question des exécutions secrètes puisque certaines parmi celles-ci sont soupçonnées d’être menées pour raisons « politiques ». Faire diminuer le nombre de ces exécutions politiques serait donc un symbole très fort envoyé par Rohani et la marque d’une réelle motivation à faire évoluer la situation. Mais, le problème c’est qu’il risque de se retrouver bien démuni face à certains juges qui ont quasiment les pleins pouvoirs en Iran pour ordonner des exécutions. Leur marge de manœuvre est énorme et, face à eux, le pouvoir central parait souvent bien faible. De plus, le système judiciaire n’est pas monolithique et, à l’administration du droit pénal, se rajoute aux prérogatives du juge une capacité d’interprétation religieuse des faits qu’il doit juger, ce qui lui confère un poids et une importance déterminante sur ces questions. Cependant, aujourd’hui ils vont peut-être faire plus attention à ces problèmes et si le régime cherche à améliorer son image et à s’ouvrir, peut-être la question de la peine de mort fera-t-elle l’objet de directives spéciales du Guide ? C’est un peu ce qui s’était déjà passé avec la question de la lapidation quand, sous le poids de la pression de la société civile et de la communauté internationale, l’Iran avait suspendu en 2002 l'application de cette peine avant de la restaurer sous la pression des fondamentalistes en 2008.

ECPM : Finalement, les Iraniens ont donc quand même de bonnes raisons de se féliciter de cette élection…

Oui, il ne faut pas se voiler la face, cette élection n’est pas une Révolution mais c’est vrai qu’elle semble aller dans le bon sens. Les problèmes ne se règleront sûrement pas en un jour en Iran mais des solutions à quelques problèmes isolés peuvent quand même commencer à se dessiner. La principale difficulté en Iran c’est que le pouvoir n’est pas un bloc homogène, qu’il faut savoir jongler entre beaucoup d’interfaces et qu’il faut être capable de travailler malgré les nombreux échelons de décisions. Gouverner n’est pas facile en Iran et l’influence du Guide est omniprésente mais si Rohani le veut vraiment il y a quelques failles dans lesquelles il pourra s’engouffrer pour faire sortir son pays du marasme dans lequel il se trouve aujourd’hui. Et puis, avec cette volonté affichée d’ouvrir le pays sur l’extérieur et de décloisonner les instances de pouvoir interne, cela va surement rendre moins difficile le travail des associations comme la nôtre ou la vôtre. En effet, pendant sa campagne, Rohani a tenu des propos pour défendre la liberté de la presse ou la liberté d’utilisation d’Internet. S’il fait effectivement des efforts dans ce sens cela sera alors très certainement plus facile pour notre collectif, United4Iran, ou pour des associations comme la vôtre, d’obtenir et de faire circuler de l’information, ce qui constitue la base de notre travail. Et pour les ONG qui réalisent un travail politique, ils pourront profiter de cette bouffée d’air pour faire entendre leur voix dans le débat public et pour mettre la pression en réclamant tout ce qui a été promis par le candidat Rohani… mais pas tant que les instances sécuritaires, la police ou la cyber sécurité, fonctionnent à plein régime.

Propos recueillis par Antonin Bravet pour ECPM.

Pour plus d'information concenrnation la situation de la peine de mort en Iran, retrouvez ici le rapport annuel sur la peine de mort en Iran 2012.
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