Intervention à l’UEAJ de Malakoff : « Vous avez des droits ! »


31 janvier 2017

ECPM intervenait en décembre dernier à Malakoff dans une unité éducative d’activités de jour à Malakoff. Dans cette structure de réinsertion rattaché à la protection judiciaire de la jeunesse, des éducateurs accueillent quotidiennement des jeunes de 16 à 21 ans placés, pour la plupart, sous main de justice. Un public atypique pour une journée riche d’échanges sur la réalité du système carcéral et pénal, en France et ailleurs…

Il n’est même pas 9h et nous sommes en décembre. Il convient donc de se réveiller en douceur : tout le monde descend dans la salle de projection et Charlène Martin, chargée de mission pour le pôle « Éduquer » d’ECPM, lance le court-métrage « Mort à l’écran ». MC Solaar, condamné à mort pour l’occasion, voit sa survie suspendue au bon vouloir des téléspectateurs.

Quand la lumière se rallume, le professeur technique s’empresse de demander aux jeunes s’ils ont reconnu le pionnier du rap français. La réponse, négative, donne un coup de vieux à une partie de la salle. Charlène entame l’intervention en demandant aux jeunes leur ressenti par rapport au film. Tout le monde s’accorde pour trouver odieuse la mise en spectacle de l’exécution. Un jeune s’indigne : « Il mérite pas de mourir, c’est pas aux humains de décider la mort de quelqu’un. C’est Dieu, c’est Allah qui décide ! » Un autre, visiblement dépité par l’attitude du public dans le film, lâche : « C’est un prisonnier. Ils ont pas envie de le voir, c’est pas difficile à comprendre… »



Et eux, si la peine de mort était affaire de télé-réalité, qu’auraient-ils voté ? Abstention à l’unanimité. Charlène poursuit sur la mise en spectacle de l’exécution en décrivant la méthode iranienne, qui consiste à pendre le condamné à une grue en public. « Les humains sont trop mauvais », lâche un jeune entre les soupirs de dégoût de la salle. La conversation continue sur les modes d’exécution et l’inexistence d’une méthode humaine et digne de mise à mort : « L’injection létale, ça aussi je trouve que c’est trop… C’est des morts atroces… » un autre réagit : « oui mais la prison à vie ça tue aussi ! »



Sandrine Ageorges-Skinner, membre d’ECPM et épouse de Hank Skinner, condamné à mort au Texas, prend le relais. Elle commence par expliquer les raisons de son engagement, dont l’exécution de Christian Ranucci constitue le point de départ : « Un mec de 22 ans, on l’a coupé en deux en mon nom. C’est ça, la peine de mort. C’est quand la société te dit que tu n’es plus rien. » Elle enchaîne sur la rencontre avec son mari : « J’ai commencé à correspondre avec des condamnés à mort. Avec l’un d’entre eux, je me suis particulièrement bien entendue, c’était comme si on se retrouvait. (…) Il est dans une prison de haute sécurité. S’il n’y avait pas les barbelés, on dirait que c’est un hôpital. On te fouille à l’entrée, on fouille ta voiture, et quand tu rentres, tu vois que les gens vivent vraiment dans des cages… Les prisonniers ne peuvent sortir que menottés, sont fouillés avant et après le parloir. La visite se passe derrière une vitre. »

Questionnée sur la proximité de son mari avec la mort, elle explique : « La mort, elle est présente, mais ce n’est pas quelque chose de sombre. Ils vivent avec. Les condamnés à mort parlent entre eux de leurs appels, de leur exécution… c’est leur quotidien. Mon mari est arrivé dans le couloir de la mort en 1995. Tous ses potes sont morts. »

La question de la discrimination sociale inhérente à la peine de mort revient plusieurs fois. Un jeune demande : « Les gens qui font les règles, quand ils font des bêtises, ils vont où ? » Un jeune sur la justice américaine : « Aux US si tu peux pas payer une caution tu vas au trou immédiatement. » Sandrine, elle, parle de « l’injustice américaine. Dans le couloir de la mort, il n’y a pas de gens riches. Les États-Unis, c’est le seul pays qui condamne des enfants à la perpétuité incompressible. Un pays qui détient 25 % de la population carcérale mondiale. La prison détruit. C’est une logique contre-productive. Renseignez-vous avant de vous faire votre opinion. Depuis les attentats, on a entendu tellement de choses… Il faut être prudent. Nos droits ne sont jamais acquis. »



Et c’est bien sur la question des droits que se poursuivra l’échange. Un jeune homme arrive en s’excusant pour son retard. Sur le chemin, il a subi 4 contrôles d’identité. Éric, qui a passé 18 années en prison, prend place face aux jeunes. L’un d’entre eux raconte sa première garde-à-vue, à 13 ans. Éric : « Vous savez que pour contrôle abusif, vous pouvez porter plainte ! » La salle laisse échapper un « mais non ! » incrédule, et un nouveau récit commence : « Ils sont venus chez moi, ils m’ont mis une balayette, je me suis cogné la tête sur le béton. Ma sœur a tout vu , elle est allée porter plainte… ça sert à rien ! »

Éric prend la parole et raconte la prison*. La violence des gardiens, les rackets entre détenus, la justice aussi expéditive qu’un « distributeur de coca », le recours fréquent aux médicaments : « En infirmerie on te file des trucs, c’est défonce gratos, tu peux rester dans ta cellule à comater. Mais quand tu sortiras, tu seras pharmacodépendant. » Tout pour briser l’image romantique et virile que peut revêtir l’univers carcéral pour ces jeunes déjà confrontés aux problèmes judiciaires. Le calme se fait dans la salle. Sandrine enfonce le clou : « Je dis souvent qu’on a aboli la guillotine mais qu’on n’a pas aboli la peine de mort en France. »

L’ancien détenu enchaîne en racontant son engagement d’écrivain public dans la prison. Sa devise : « Si tu veux inspirer le respect, respecte-toi toi-même. » Il s’est ainsi mis au service de ses co-détenus pour rédiger toutes sortes de dossiers, et remplir toutes sortes de formulaires. Il espère devenir secrétaire juridique. En attendant, il fait du bénévolat pour la CIMADE. Pour lui, les droits sont là pour être défendus. « Pour ça il y a des assos qui peuvent vous aider. En France, on a encore des droits. Il faut les connaître et les utiliser ! »

À l’issue de cette intervention, les jeunes de l’UEAJ se sont lancé dans le concours international de dessins « Dessine-moi l’abolition ! », qui fait actuellement l’objet d’une campagne de crowdfunding. Contactée récemment, Inès Oulmokhtar, éducatrice, est plutôt satisfaite : « On organise un atelier tous les lundi matins autour de la thématique et les jeunes sont investis, c’est plutôt cool. » Ici, à ECPM, on a hâte de voir les affiches !


* Pour en savoir plus sur le parcours d’Éric, vous pouvez consulter cette bande dessinée en ligne.