« En Afrique, l’abolition est la tendance irréversible » – Entretien avec Raphaël Chenuil-Hazan
6 avril 2018
Ce lundi 9 avril 2018 marque l’ouverture de la première journée de débats du Congrès Africain contre la peine de mort organisé par ECPM, en partenariat avec la Coalition mondiale contre la peine de mort, la FIACAT et la Commission nationale des droits de l’homme de Côte d’Ivoire. Il sera cette année consacré à l’Afrique, en marche pour devenir le prochain continent abolitionniste.
Raphaël Chenuil-Hazan, directeur général à ECPM, vous livre aujourd’hui son point de vue sur cet évènement majeur de l’abolition, le plus grand jamais tenu sur le sol africain.
Quels sont les enjeux majeurs de ce Congrès régional qui met le cap sur l’Afrique ?
RCH : Le premier enjeu est de montrer à tous les acteurs politiques africains qui ne sont pas loin de l’abolition que celle-ci est possible. Il s’agit de leur démontrer que l’abolition est la tendance irréversible puisque, on le sait et on le redit, il y a chaque année de nouveaux pays africains qui choisissent d’abolir la peine de mort. Cette tendance doit amener à une prise de conscience totale de tous les hommes et femmes politiques africains, en particulier de ces très nombreux pays qui sont au bord du basculement vers l’abolition. L’autre enjeu majeur consiste à inciter les pouvoirs politiques, l’exécutif comme le législatif, et la société civile à travailler ensemble. La société civile peut leur donner les informations et les outils pour abolir.
Pourquoi avoir choisi la Côte d’Ivoire pour accueillir ce Congrès africain ?
La Côte d’Ivoire est un pays abolitionniste moteur au niveau international sur la question de l’abolition de la peine de mort – en particulier dans le cadre de la résolution sur le moratoire des Nations unies qui aura lieu en décembre prochain. Aussi, nous souhaiterions que, à l’occasion de ce Congrès régional, la Côte d’Ivoire ratifie le Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort. L’idée est de donner l’exemple et d’encourager d’autres pays à faire de même dans l’ensemble du continent africain.
Le Ministre de la Justice ivoirien Monsieur Sansan Kambile s’exprimera justement lors de la cérémonie solennelle d’ouverture. Des ministres d’autres gouvernements africains ont également répondu présent.
En effet, les plus hautes autorités de l’État sont attendues au Congrès, ainsi que des représentants de haut niveau de plusieurs pays africains.
Quelles sont vos attentes ou vos espoirs quant aux engagements qui pourront être pris lors de l’ouverture du Congrès ?
Nous espérons notamment que le Burkina Faso confirme la voie qu’il a décidé d’emprunter depuis le dernier séminaire parlementaire de Ouagadagou, organisé par ECPM et la FIACAT en janvier 2017. L’annonce du Burkina Faso d’une abolition via la Constitution serait une étape importante pour poursuivre la dynamique abolitionniste africaine. Les Ministres de la Justice et des Affaires Étrangères burkinabés seront présents, nous attendons donc beaucoup.
Nous espérons beaucoup de pays comme la Gambie et le Niger, qui ont réalisé de nombreuses avancées et ne sont plus très loin de l’abolition. Nous espérons que le Niger pourra nous annoncer ses prochaines étape vers l’abolition. Des pays comme le Tchad seront représentés au plus haut niveau et nous espérons que leurs délégations pourra nous expliquer comment ils pourraient arrêter de lier peine de mort et lutte contre le terrorisme.
Comment imaginez-vous l’état de l’abolition en Afrique dans 10 ans ?
Je pense que dans dix ans 90 % des pays africains auront aboli la peine de mort en droit et il ne restera plus qu’une infime minorité qui comprendra les pays les plus durs, les moins démocratiques et les plus répressifs du continent. La démocratie et l’installation de la démocratie va de pair avec l’abolition de la peine de mort, à travers un meilleur état de droit, amélioré et sain, et la pratique d’une justice juste.
Avec ces objectifs bien définis, quelles thématiques avez-vous décidé de privilégier lors de ces deux journées de débats ?
Nous mettrons notamment l’accent sur les thématiques de la Journée mondiale contre la peine de mort, célébrée chaque 10 octobre. Avec la Coalition mondiale contre la peine de mort, nous travaillons sur des thématiques annuelles pour les journées mondiales. Celles organisées en 2017 et en 2018 sont particulièrement pertinentes pour le continent africain : elles mettent en regard la peine de mort avec la question de la pauvreté et des conditions de détention dans les couloirs de la mort. Ces deux thématiques sont au cœur des problématiques des prisons africaines.
Nous avons aussi décidé d’aborder la question de l’histoire de la peine de mort en Afrique. L’idée est de s’intéresser au lien, s’il y en a un, entre les différentes colonisations et l’application et la pratique de la peine de mort.
Enfin, une des questions importantes également à soulever sera l’utilisation de la peine de mort comme un outil politique, notamment dans le cadre des justices militaires et des luttes antiterroristes. Nous discuterons ainsi du phénomène de politisation de la peine de mort.
ECPM organisera ensuite son 7ème Congrès Mondial à Bruxelles, en février 2019. Dans quelle mesure s’inscrira-t-il dans la continuité du Congrès Africain ?
Le prochain Congrès Mondial sera l’occasion de dresser le bilan du Congrès Africain et de porter la question africaine au niveau international et non plus seulement dans une perspective régionale. Nous espérons pouvoir prendre la situation sur le continent africain comme exemple sur la scène internationale.