« Mon crayon pour l’abolition », un succès pédagogique
21 février 2016
Issus de neuf établissements scolaires de Lorraine et d’Ile-de-France, les élèves ont rencontré des journalistes et des dessinateurs de presse. Ils ont interviewé l’épouse d’un condamné à mort ainsi que de jeunes adultes qui ont souffert du terrorisme. Puis, à leur tour, ils ont produit articles et dessins de presse destinés à être publiés dans Le Journal de l’Abolition à l’occasion du 6e Congrès mondial contre la peine de mort. « C'est la première fois que nous avons pu favoriser autant de transversalité dans un projet éducatif, indique Charlène Martin, assistante projet « Éduquer et sensibiliser à l'abolition » à ECPM. « Dans chaque classe, nous avons fait intervenir non seulement des personnes clés du combat abolitionniste mais aussi des partenaires non affiliés au mouvement. Ce qui a permis aux élèves de faire le lien entre la problématique de la peine de mort et le respect des libertés fondamentales. »
Aux collèges de Laxou et Yutz, en Lorraine, Alain Morvan, reporter au Républicain Lorrain, a fait réfléchir les élèves sur les lignes éditoriales des média, leur positionnement politique ou encore sur la structuration d’un article. Il leur a aussi raconté comment il s’est investi dans l’affaire Serge Atlaoui, ce lorrain condamné à mort en Indonésie. Aux collèges de Villeneuve-la-Garenne et d’Asnières-sur-Seine, la journaliste Desislava Raoul a également partagé son expérience professionnelle à la télévision bulgare et a évoqué les menaces qui pèsent sur la liberté de la presse dans de nombreux pays. Au lycée professionnel polyvalent Georges-Braque à Argenteuil, Mathilde Lemaire a poursuivi le débat en expliquant comment la liberté de la presse est une liberté encadrée par le droit. Reporter à France Info, elle a répondu à toutes les questions qui ont surgi sur Charlie Hebdo et les caricatures du prophète Mahomet, ou encore sur la photo du jeune Aylan retrouvé mort sur une plage turque alors qu’il traversait la Méditerranée avec sa famille comme tant d’autres migrants.
Sina Mir, lui, a ouvert la séance en présentant aux collégiens d’Edouard-Vaillant à Gennevilliers, le matériel avec lequel il travaille pour recueillir des témoignages. Reporter à RTL, il a expliqué la mission citoyenne des journalistes : dire ce qui se passe pour permettre à chacun d’exercer son rôle de citoyen de manière éclairée. Résultat, « l'échange a été d'une qualité que je n'aurais à priori pas pu soupçonner avec des élèves de cet âge, confie-t-il. J'avais peur que la réflexion soit "binaire" sur la peine de mort comme sur les enjeux d'informer de nos jours et qu'il faille tout le temps être dans la confrontation d'idées. Au contraire, les questions et les points de vue ont été spontanément très variés et les échanges nombreux. Leur capacité à se concentrer sur ce module m'a impressionné. C'était une première pour moi, hâte de recommencer ! »
Du côté des dessinateurs, Mana Neyestani, qui a travaillé pour de nombreux journaux iraniens avant de s’exiler en France, a initié les élèves au processus de création d'une caricature, et la dessinatrice Marine des Mazery les a aidés à finaliser leur propre dessin de presse. Quant à Régis Hector, qui dessine pour Le Républicain Lorrain, il a souligné l’utilité du dessin de presse et donné aux élèves des clefs de lecture pour déchiffrer les messages qu’ils sous-tendent.
Après ces interventions, les élèves étaient fin prêts à jouer les journalistes en interviewant Sabine Atlaoui, l’épouse de Serge Atlaoui. « Comment votre mari a-t-il réagi quand il a su qu’il était condamné à mort ? » « Pouvez-vous lui parler au téléphone ? » « Quelles sont les pistes aujourd’hui pour faire évoluer la situation ? » « Est-ce que vous aimez toujours votre mari ? » « Est-ce que vous lui en voulez ? » « Que pensez-vous de la justice indonésienne ? » « Votre entourage vous a-t-il laissé tomber après son incarcération ? » Sabine Atlaoui n’a laissé aucune question sans réponse. « C’est important, pour moi, de donner une autre vision de la peine de mort, celle de la sphère intime. J’essaie de faire comprendre que chaque condamnation à mort implique une personne, une famille… une humanité. » Sabine le reconnaît, « c’est éprouvant de revenir sur des moments qui ont été parfois très difficiles ». Mais elle sait aussi que « cela à un impact sur les élèves. Je les sens évoluer au cours des échanges. Cela les fait réfléchir et c’est là l’essentiel. »
Les intervenants de l’Association française des victimes du terrorisme les ont aussi fait réagir. Caroline Altounian, Julien Altounian, Yohanna Brette et Anaële Abescat, qui ont souffert du terrorisme, sont venus témoigner dans les classes et ont fait entendre leur voix là où les élèves ne les attendaient pas : ils se sont déclarés contre l’application de la peine de mort malgré les atrocités qu’ils ont vécues. Pour Yohanna, « cela été une très belle rencontre. Les échanges étaient sans faux semblants où l'on peut parler simplement pour essayer de lever des tabous. »
Afin que les élèves profitent au mieux de ces échanges, des outils pédagogiques ont été spécifiquement créés pour le projet par l’équipe de « Eduquer et sensibiliser à l’abolition de la peine de mort » à ECPM : un module de cours sur l'article de presse et un autre sur la caricature de presse. « Beaucoup d'enseignants les ont utilisés en autonomie avec leur classe pour les aider à comprendre comment rédiger et comment dessiner de manière pertinente sur le sujet, précise Charlène Martin. Un brief spécifique a également été remis à chaque classe afin de favoriser la diversité des sujets traités et pour leur proposer de contacter des acteurs de terrain par mail afin de nourrir leurs recherches. »
Le projet n’est pas encore totalement terminé : ECPM est en train de compiler les articles et dessins envoyés par les jeunes participants afin de créer le Journal. Ce journal sera imprimé en version bilingue français-anglais pour être diffusé au Congrès mondial contre la peine de mort qui se déroulera en juin prochain à Oslo Avant cela, un exemplaire du Journal sera remis à tous les participants à l’occasion des cérémonies de clôture qui se tiendront en mai. L’une sera organisée à Paris, l’autre à Metz, toutes deux pour récompenser l’ensemble des élèves ainsi que leurs enseignants.
Camille SARRET.