Ne sacrifions pas les droits de l’homme aux airbus


13 novembre 2015

Quand seul le langage de vérité sur la situation des droits de l’homme en Iran et en Arabie Saoudite sera un gage de relations durables et saines.

Le calendrier diplomatique fait parfois bizarrement les choses puisque se croisent ces dernières semaines des visites diplomatiques inédites qui posent certaines questions mises sous le tapis depuis maintenant trop longtemps. En effet, la France rencontre les deux frères ennemis du Proche-Orient : l’Iran et l’Arabie saoudite.

Le 10 octobre dernier, Journée mondiale contre la peine de mort, le Premier ministre, Manuel Valls était en Arabie Saoudite pour négocier de juteux contrats commerciaux (ce qui fût semble-t-il une réussite). Cette semaine le Président iranien, Hassan Rohani, visitera plusieurs grandes capitales européennes (dont Paris) dans une tournée internationale inédite. L’accord sur le nucléaire est maintenant signé depuis l’été. Reste à préparer cette période post-sanctions et cette nouvelle ère de relations multilatérales, incluant bien évidement une course aux investissements européens.

Pourtant la situation sur le front des droits de l’homme est catastrophique dans ces deux pays. Jamais l’Arabie Saoudite n’aura autant exécuté de prisonniers depuis l’accession au pouvoir du Roi Salmane Al-Saoud en janvier 2015 (plus de 150 exécutions à ce jour dont beaucoup d’étrangers en situation de précarité), décrit alors comme réformateur prudent. La situation emblématique du jeune Ali Al-Nimr, mineur au moment des faits et condamné à mort pour seule faute d’avoir manifesté, d’être blogueur et d’être de la minorité chiite, devrait nous scandalisé et agiter la classe politique française. Pourtant, il n’en est rien, car nous ne devons pas froisser notre allié saoudien.

En Iran, depuis l’élection d’Hassan Rohani en juin 2013, présenté en son temps par l’aphorisme de « conservateur-modéré », la situation des droits de l’homme a sensiblement été détériorée, contrairement à ce qu’on essaye de nous faire croire ici ou là et malgré la Charte sur les droits civils annoncé par le Président tout récemment. En 2014, l’Iran a exécuté au moins 753 personnes, un nouveau record depuis le début des années 90. Cette tendance continue en 2015, puisque dans les premiers dix mois de cette année, plus de 830 personnes on été exécutées, soit une moyenne de 3 exécutions par jour. La majorité de ces exécutions le sont pour des crimes liés au trafic de drogues. Les minorités ethniques (kurdes, baloutches, azéris) comme les migrants fragilisés (en particulier les afghans) sont les premières victimes de cette situation alarmante. D’autant que les organisations de droits de l’homme ont rapporté l’usage généralisé de la torture afin d’obtenir des confessions forcées, des procès inéquitables et le manque de présence d’avocats dans beaucoup de cas encourant la peine de mort. On peut également citer la situation catastrophique et quasi tabou de la minorité religieuse Baha’is souffrant de persécutions quasi-systématiques, mais qui malheureusement n’intéressent personne.

La France est non seulement le pays des droits de l’homme, mais aussi fer de lance dans le combat international contre la peine de mort. Cela est tout à l’honneur de ce gouvernement. Maintenant que le Président du pays qui exécute le plus au monde (par habitant) visite la France, la peine de mort et plus généralement la situation des droits de l’homme doivent être dans l’agenda des discussions bilatérales.

Les investissements européens devraient pouvoir être conditionnés à des avancées significatives comme la fin des condamnations à mort pour trafic de drogues, ce qui réduirait de 60 à 70% le nombre d’exécutions dans les deux pays.

Oublier les droits de l’homme ne donne pas plus de force à la France ou aux pays de l’Union Européenne, mais au contraire nous affaiblit. Une pression internationale du groupe de pays P5+1 a pu être portée concernant le nucléaire en Iran, il faut maintenant en faire de même pour les droits de l’homme en Iran et en Arabie Saoudite.

Raphaël Chenuil-Hazan,
directeur général d'ECPM