Pourquoi l’abolition de la peine de mort en Californie a-t-elle échoué ?


27 novembre 2012

Par Lily Hughes – Campaign to end the death penalty, USA
Le 26 novembre 2012

Proposition 34, la proposition de loi, qui aurait remplacé la peine de mort en Californie par la perpétuité sans libération conditionnelle, a été battue de justesse le 6 Novembre 2012. Un moratoire de fait reste en place tant que les tribunaux de Californie continuent à débattre sur le protocole d'exécution de l'État.

53% des électeurs ont voté contre cette mesure, avec 47% en sa faveur. C'est loin des 70% de personnes qui étaient en faveur du rétablissement de la peine de mort en Californie en 1978. Le changement important dans l'opinion publique contre la peine de mort est incroyablement encourageant à la fois pour les abolitionnistes au niveau national et en Californie.

Alors que les Californiens ont voté pour maintenir la peine de mort, un plus grand pourcentage d'entre eux ont voté pour réduire les peines liées à la législation des « three strikes » (perpétuité incompressible après deux récidives, quelle que soit la nature du délit).

Avec le recul clair et significatif en faveur de la peine de mort en Californie, et avec les électeurs qui ont choisi d'adoucir les peines les plus sévères, qu’est-ce qui a causé l’échec de la proposition de loi 34?

Une raison évidente est le ralliement des fervents partisans de la peine capitale contre cette proposition, bien que loi ait été écrite pour plaire particulièrement à ces groupes. La tentative d'apaiser les forces de police et les défenseurs des droits des victimes de la criminalité, l’argument de la tolérance zéro et des offres de financement ont finalement échoué.

Cette stratégie a également ignoré de nombreux groupes clés parmi les militants qui auraient pu se rallier avec enthousiasme derrière un autre type de mesure. Les auteurs de cette proposition n'ont tout simplement pas mis en avant une initiative fondée sur les droits humains et basée sur des principes progressistes auxquels les abolitionnistes et les combattants des réformes pénitentiaires auraient pu se rallier.

La Campagne pour éliminer la peine de mort (CEDP) a critiqué l'approche prudente adoptée par les abolitionnistes de la poignée d'États qui ont récemment aboli la peine de mort. Dans le cas de la Californie, CEDP a déclaré dans un communiqué publié à la fin Octobre:

"La proposition de la Californie est à bien des égards similaires à la législation qui est passée dans les états à travers le pays, et en particulier l'abolition de la peine de mort récente dans le Connecticut. La perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle a été promue comme la juste alternative à la peine de mort, la sévérité contre la criminalité et la réduction des coûts ont été mis en avant dans la campagne publique en faveur de l'initiative. "

L'accent mis sur les économies budgétaires était au cœur de la campagne menée par les partisans de la proposition 34. L'idée était que pendant une période de crise budgétaire grave, les Californiens ordinaires seraient tentés de réduire les dépenses inefficaces du gouvernement, comme les dépenses liées à la peine de mort. Pour beaucoup de gens, cependant, ces calculs financiers froids ne remettent pas en question leur position sur la peine de mort. Comme l’avocat de la défense au Texas, David Dow, l’a fait valoir dans un article récent:

"Les arguments économiques sont importants à la marge, mais à la base, le débat sur la peine de mort n'est jamais vraiment une question d'argent, plutôt, elle tourne autour de notre idée de ce que signifie être un être humain."

Une grande partie de l'argument en faveur de la réduction des coûts et de la tolérance zéro contre le crime était l’argument phare en faveur de la perpétuité sans libération conditionnelle comme la juste alternative à la peine de mort. Sur son site Internet, les auteurs de la proposition expliquent que : «cela signifie que les meurtriers condamnés resteront derrière les barreaux pour toujours – sans risque d'exécuter un innocent".

Ce qui n'est pas mentionné, c'est que ces gens innocents qui sont dans le couloir de la mort purgent actuellement une peine à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Parce que la perpétuité incompressible ne prévoit pas de financement de la défense pour les appels, qui sont automatiques lors d’une condamnation à mort, les prisonniers se retrouvent avec très peu de moyens pour prouver qu'ils sont innocents. Mais pour les partisans de cette proposition, ceci signifie l'élimination des appels coûteux. Encore une fois sur le site Web SAFE: «L'argent pour le fonds SAFE Californie proviendrait directement de la fermeture de trois agences gouvernementales qui s'occupent actuellement des appels coûteux et étendus pour les cas de condamnations à mort."

L’accès aux appels est particulièrement important en Californie, qui compte plus de 700 personnes dans son couloir de la mort, nombreux sont ceux qui n'ont pas encore été assignés un avocat commis d'office pour la procédure en habeas corpus qui suivent leurs appels directs. La perspective de purger une peine de perpétuité incompressible, sans accès à une procédure d’appel, a incité de nombreux prisonniers du couloir de la mort en Californie à se prononcer contre la proposition 34.

CEDP a été le seul groupe à communiquer directement avec les condamnés à mort sur cette proposition de loi, suscitant des communications par plus de 220 prisonniers condamnés à mort en Californie exprimant leur position. Sur les quelques 60 réponses, seulement quatre prisonniers ont écrit en faveur de cette loi. Les prisonniers étaient plus préoccupés par leur accès aux appels.

Du couloir de la mort, le prisonnier Kevin Cooper a épuisé ses voies de recours, malgré la montagne de preuves qui pointe vers son innocence, et serait exécuté si les exécutions reprennaient. Dans sa déclaration au sujet de cette proposition de loi, Kevin a déploré le fait que les auteurs du projet n'avaient pas tenter d’impliquer les prisonniers, et il a exposé son opposition à CEDP, en raison du manque d'accès aux appels et à cause de la nature inhumaine de cette peine sévère. Comme Kevin a déclaré:

"S'il vous plaît ne vous méprenez pas, ce que je dis au sujet de ce projet de loi en Californie ne signifie pas que je sois en faveur de la peine capitale non plus! Mais, je ne sais qu'il doit y avoir une meilleure façon de mettre fin à la peine capitale dans cet état que cette proposition de loi ".

Un autre aspect décourageant de la campagne pour cette proposition était l'attrait pour la police, en particulier à travers un fonds qui aurait acheminé des millions de dollars directement à la police et aux procureurs dans le but de «prévenir» la criminalité. CEDP a fustigé cette tactique dans sa récente déclaration sur cette proposition:

«Mettre plus d'argent dans les mains des forces de l’ordre afin de sauver des vies est l’un des arguments les plus arriéré de cette loi. Il est difficile d'imaginer que les familles d’Alan Blueford, James Earl Rivera Jr. ou Oscar Grant (tous des hommes de couleur innocents tués par la police en Californie) se sentent plus en sécurité avec plus de policiers dans les rues.

Les forces de l’ordre et les procureurs sont aux premières lignes de ce que Michelle Alexander appelle le «New Jim Crow" qui est responsable de l’incarcération de plus de 2,3 millions de personnes, de manière disproportionnée les Afro Américains et les Latinos. Nous voulons mettre fin à cette injustice, ne pas aider à la renforcer. "

Certains abolitionnistes ont fait valoir que la stratégie conservatrice de faire appel à la police et de parler des coûts liés à la peine de mort est ce qui a influencé les législatures à abolir la peine de mort dans une poignée de pays. Mais la lutte contre la peine de mort n'est pas gagnée dans les couloirs du pouvoir à travers des discussions en coulisse assurant les législateurs de l'engagement abolitionniste à sévir contre le crime, ni par des calculs politiques froids se résumant aux urnes.

Ce type de pensée laisse de côté le fait que les deux niveaux de la législature et le grand public ont été fortement touchés par les questions de l'innocence, comme en témoignent les batailles contre les exécutions dans les cas très médiatisés comme ceux de Stan Tookie Williams en Californie et Troy Davis en Géorgie.

L'innocence est le facteur le plus important dans le déclin du soutien à la peine de mort à l'échelle nationale au cours des 10 dernières années. Des dizaines de personnes ont été innocentées des couloirs de la mort et de prison, et les sondages montrent que la plupart des gens croient que des innocents ont été et continuent d'être exécutés.

La libération récente d'Anthony Graves du couloir de la mort au Texas, et le scandale des prisonniers exécutés au Texas, comme Cameron Todd Willingham, accusés à tort d’avoir provoqué un incendie criminel qui a tué ses trois enfants, ont eu un impact considérable sur le débat sur la peine de mort. L’innocence a également été un facteur déterminant dans l'abolition de la peine de mort en Illinois en 2010, et a été au coeur de la lutte pour sauver la vie de Troy Davis en Géorgie en 2011.

Le cas de Troy Davis a également mis en lumière le racisme omniprésent et endémique à la peine de mort et au système judiciaire dans son ensemble. Le racisme joue un rôle énorme dans le fait que des innocents se retrouvent dans les couloirs de la mort. Par exemple en l'Illinois, un réseau de tortures policières ciblant spécifiquement les hommes noirs de Chicago, qui ont fourni des dizaines d’aveux extroqués. La lutte pour sauver les prisonniers connus sous le nom de couloir de la mort 10 et d'autres victimes de la torture policière a conduit le gouverneur George Ryan à déclarer un moratoire et à pardonner quatre détenus du couloir de la mort 10.

Ce sont ces sortes de luttes autour de l'innocence et la lutte contre le racisme, la police et les malversations des procureurs qui finiront par porter la communauté abolitionniste dans son ensemble. Les abolitionnistes militant pour la justice et la réforme du système judiciaire en Californie auraient pu s’unir autour d'une mesure si elle avait repris ces questions et elles auraient rassemblé des prisonniers, anciens détenus, des membres des familles des prisonniers et des victimes dans les lignes de front d'une campagne contre la peine de mort.

Nous avons vu l'impact que les campagnes autour des cas isolés peuvent avoir sur la façon dont les gens perçoivent la peine de mort. Il est des combats comme le mouvement pour la justice pour ce prisonnier, Stan Tookie Williams, innocent et exécuté en Californie, qui nous montrent la voie à suivre dans notre lutte. à l'avenir, la lutte pour prouver l'innocence de Kevin Cooper devrait être une pièce maîtresse de campagne pour ceux qui veulent continuer la lutte pour l'abolition en Californie, ainsi que d'autres cas de condamnés à mort, comme ceux de Darrel Lomax et Correll Thomas. Unir le mouvement abolitionniste autour des combats contre le racisme et pour la réforme du système de la justice pénale est également un élément clé.

Le militant californien, Cameron Sturdevant, a résumé la situation de cette manière au lendemain de l'élection:

"Pour mettre fin à la peine de mort en Californie, le mouvement abolitionniste a besoin de placer le combat pour l'humanité au centre de la lutte, en reconnaissant que la peine de mort est raciste, elle tue les pauvres, elle condamne l'innocent, c'est cruel et inhabituel, et la peine de mort n'a aucun effet dissuasif. La meilleure leçon à tirer de la défaite de la proposition 34 est que le mouvement doit mettre la lutte contre le racisme leçon serait de poursuivre la mauvaise stratégie qui vient de conclure la campagne « oui à la proposition 34 » qui a opté pour un enfermement perpétuel, des économies de bouts de chandelle, la loi et l'ordre, et une perspective conservatrice de la question. Je suis fermement opposée à la peine de mort et je me réjouis de continuer la lutte pour y mettre fin. "

Unir le mouvement contre la peine de mort avec des combats contre les châtiments cruels tels que la perpétuité incompressible, contre les conditions de détention barbares, le racisme, les brutalités policières, la guerre contre la drogue et l'incarcération de masse ne feront pas seulement élargir notre mouvement, ils pourraient inciter une nouvelle génération de militants à se battre pour une cause fondée sur des principes de justice sociale.

En fin de compte, le but de notre mouvement n'est pas simplement pour mettre fin à la peine de mort. Il s'agit de lutter contre l'injustice et pour l'humanité de tous les hommes, que ce soit derrière les barreaux ou non. Gagner l'abolition est notre objectif, mais notre combat ne s'arrête pas là. Comme Martin Luther King a dit: «L'injustice n'importe où est une menace pour la justice partout» et cela inclut les millions de victimes du racisme dans un système d’injustice pénale.

Pour plus d'information en anglais sur Campaign to end the death penalty.