Quand l’abolition est un combat de femmes
9 mars 2015
Cette femme s’appelle Sabine, elle est l'épouse de Serge Atlaoui, qui croupit dans le couloir des condamnés à mort depuis presque 10 ans à l’autre bout du monde, en Indonésie. Sabine, comme nous tous, a peine à croire que l’homme qu’elle aime et avec qui elle a un enfant, puisse devenir le premier Français à être exécuté depuis la décapitation en 1977 de Jérôme Carrein à la prison de Douai (sans oublier le Tunisien, Hamida Djandoubi, exécuté la même année).
Elle est pourtant bien obligée d’y croire un tant soit peu, étant donné la persévérance et l‘intransigeance du nouveau président indonésien, Jokowi Widodo, sur les condamnations à mort. L’Indonésie est un immense pays et une jeune démocratie dans cette Asie du Sud-Est encore peu encline à la démocratie directe. La récente élection de « Jokowi » en est l’exemple même. Cependant, une fois encore, l’arme ultime de la peine capitale n’est pas ici utilisée comme instrument de justice mais bien comme arme de propagande politique. Il s’agit de répondre aux attentes d’une opinion publique soi-disant demandeuse de sacrifice humain sur l’autel de la lutte contre le trafic de drogue, réel fléaux national et international. Sabine explique aux médias du monde entier que Serge n’est pas ce trafiquant ni propriétaire d’une usine de production d’ecstasy, mais seulement un travailleur salarié qui s’est retrouvé embringué dans cette affaire pour un salaire dérisoire. Faut-il le rappeler, Serge est ouvrier-soudeur parti en Indonésie installer des citernes et des tuyaux et non le « chimiste » de l’usine comme il est parfois présenté.
Sabine Atlaoui est telle ses homonymes dans le fameux tableau de David : « Les Sabines ». Les Sabines s’interposent, se battent pour défendre la vie des leurs et tentent d’arrêter le combat entre les Sabins menés par Tatius et les Romains conduits par Romulus. Notre Sabine se bat pour son mari jusque dans le débat intérieur indonésien, répondant aux journalistes locaux et demandant un tant soit peu de clémence et compassion. Ce sont des appels à l’empathie. Vous, peuples d’Indonésie, javanais, balinais, sulawesiens, habitants de Sumatra, Bornéo et des milliers d’autres îles qui jalonnent votre pays, acceptez cette clémence envers Serge et envers Sabine qui vous la demande. Cette clémence, que pourtant vous demandez pour vos propres concitoyens. En effet, des Indonésiens, mais surtout des Indonésiennes parties travailler en Arabie saoudite ou autres pays du Moyen-Orient sont elles aussi des victimes de la terrible peine de mort. Si vous comprenez l’acte de meurtre de cette femme de ménage indonésienne maltraitée sur un maître abusant d’elle et la maltraitant au quotidien, alors comment se fait-il que vous restiez insensible à l’appel de cette femme qui ne demande qu’un peu de compassion. Derrière la peine de mort, il y a toujours des êtres humains : des condamnés, des familles, des amis.
En ce mois de mars, marqué par la journée internationale des femmes, j’appelle toutes et tous à penser un instant à ces femmes qui subissent la peine de mort au quotidien : des femmes de condamnés, comme Sabine, des femmes condamnées à mort comme Mary Jane Fiesta Veloso, jeune philippine qui se prépare à son exécution, ou encore des femmes exécutées, comme l’Indonésienne Ruyati binti Sapubi, qui en 2011 avait soulevé l’indignation de toute l’Indonésie.
Par Raphaël Chenuil-Hazan
Directeur d’ECPM