Rabat 2012 : le Congrès se décline à l’échelle régionale
3 juin 2013
L’expérience du débat, de la mise en réseau et de la concertation acquise depuis 2001 lors des Congrès mondiaux contre la peine de mort a été mise au service des abolitionnistes d’Afrique du Nord et du Moyen Orient en octobre dernier.
C’est une région en ébullition qui accueille le 1er Congrès régional contre la peine de mort dans la capitale marocaine du 18 au 20 octobre 2012.
Printemps arabe, guerre en Syrie, vague d’exécutions en Irak : la situation contrastée de la peine de mort en Afrique du Nord et au Moyen Orient, entre espoirs de progrès et régressions locales, pousse ECPM à transposer à Rabat le modèle des Congrès mondiaux contre la peine de mort.
>> En savoir plus sur le Congrès mondiaux de Strasbourg 2001, Montréal 2004, Paris 2007 et Genève 2010…
Les efforts des militants locaux pour s’organiser en coalitions nationale et régionale s’y prêtent et le royaume chérifien, l’un des pays les plus avancés de la région dans la réduction du recours à la peine capitale, accueille l’événement avec bienveillance.
Droit international
L’adoption en cours d’une nouvelle résolution appelant à un moratoire universel sur les exécutions à l’Assemblée générale des Nations unies permet de faire le lien avec le droit international, qui fait l’objet de la première session plénière du Congrès.
« En 2012, quatre pays arabes et musulmans ont basculé des "non favorables" à la résolution vers les absentions », souligne l’universitaire canadien William Schabas.
Mohamed Bedjaoui, juriste et ancien ministre algérien, constate quant à lui l’adoption accélérée des instruments des droits de l’homme internationaux par la Tunisie post-révolutionnaire. Non seulement les nouvelles autorités envisagent de ratifier le Deuxième Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques abolissant la peine de mort, mais il affirme que « la Tunisie est aussi le seul pays arabe à avoir adhéré au statut de Rome, et cela est plus significatif que le Deuxième Protocole ». Le statut de Rome de la Cour pénale internationale ne reconnaît en effet pas la peine capitale, même pour les crimes contre l’humanité.
Loi islamique
Pour la majorité des habitants de la région, la loi de Dieu se place cependant au-dessus de celle des hommes. Le Congrès consacre donc deux débats aux approches religieuses de la peine de mort.
Le Dr Mohamed Al Habash, spécialiste syrien de la charia, évoque ainsi treize arguments de la loi islamique qui s’opposent à la peine capitale. Malgré l’existence théorique de la loi du Talion dans le Coran (« œil pour œil, dent pour dent »), il explique que les textes sacrés prévoient de multiples dispositifs qui la rendent inapplicable. Ainsi, « le mot "exécution" n’est pas utilisé dans le Coran car celui-ci est incorrect », le pouvoir d’ôter la vie étant réservé à Dieu. De plus, « le pardon annule la loi du Talion » et le paiement d’une compensation financière aux victimes de crimes appelée diya doit éviter l’exécution, précise le Dr Al Habash.
Pour le prêtre libanais Hadi Aya, le christianisme adopte une approche similaire. Selon lui, les chrétiens ne peuvent accepter la peine de mort en application d’un principe fondamental : « Il ne faut pas tuer l’homme car celui-ci a été créé à l’image de Dieu. »
« Régimes despotiques »
La confusion entre religion et politique influence parfois la politique pénale dans la région, elle-même objet de plusieurs débats. L’avocat et militant égyptien Nasser Amin déclare que les dirigeants arabes ont longtemps utilisé la peine de mort comme « façon de contrôler les islamistes, de les convaincre que c’est le rôle de l’État d’appliquer l’Islam et pas le rôle des islamistes ». Cependant, il voit avant tout dans la peine capitale l’instrument de « régimes despotiques » qui l’utilisent contre leurs opposants.
Autant d’arguments à diffuser dans les réseaux abolitionnistes qui se tissent dans la région, et qui sont appelés à se développer selon Ziad Naboulsi de l’Association libanaise pour l’éducation et la formation. Intervenant lors de l’atelier « Stratégie d'abolition et lobbying
transversal dans la région », il déclare : « Nous sommes au début d’un changement organisationnel important, du plaidoyer vers le travail en réseau. On travaille autant dans le monde virtuel que réel. » Crucial dans les révolutions arabes, le rôle d’internet et des réseaux sociaux le sera également pour atteindre l’abolition.
La prise de conscience est générale : Nourredine Benissad, président de la Ligue des droits de l’homme d’Algérie, reconnaît qu’en l’absence d’organisation spécifiquement dédiée à la lutte contre la peine de mort dans son pays, une coalition y est également nécessaire. « Notre action doit être pédagogique », ajoute-t-il.
Même son de cloche chez Mohamed Habib Marsit, coordinateur d’un mouvement déjà bien structuré au sein de la Coalition tunisienne contre la peine de mort. Si la première cible de son plaidoyer reste les dirigeants politiques, « la deuxième orientation est vers la société. Nous menons des colloques dans les écoles, les universités. Nous ne sommes pas encore allés dans les mosquées, mais nous avons bon espoir d’avoir recours aux prédicateurs ! »
De Rabat à Madrid
Sans oublier les parlementaires, largement présents à Rabat. Conformément à l’engagement pris sur place, des élus marocains de la majorité comme de l’opposition ont officiellement constitué un réseau contre la peine de mort le 26 février dernier.
Un atelier sera consacré au partage de leur expérience lors du 5e Congrès mondial à Madrid. Tout comme la session plénière consacrée à la région Moyen Orient-Afrique du Nord, ces débats prendront la suite des discussions engagées au Congrès régional.
Thomas Hubert