Rapport sur la peine de mort en Iran : 2015, une année noire


11 avril 2016

En partenariat avec ECPM (Ensemble contre la peine de mort), l’ONG Iran Human Rights  vient de publier son 8e rapport annuel sur la peine de mort en Iran. L’année 2015 s’avère particulièrement sombre. 969 personnes ont été exécutées, dont au moins 3 mineurs et 19 femmes. C’est 29% de plus qu’en 2014. 207 exécutés l’ont été pour meurtre et 638 pour trafic de drogues. La République islamique d’Iran reste le pays au monde qui exécute le plus par rapport au nombre d’habitants. Pourtant, à l’international, elle a amorcé un processus d’ouverture et cherche désormais à normaliser ses relations diplomatiques avec l’Occident. Plus de précisions avec Mahmood Amiry-Moghaddam, porte-parole et co-fondateur de Iran Human Rights.

Dans votre rapport annuel, vous faites le constat que 2015 est l’une des années les plus sombres de l’histoire iranienne. Pourquoi une telle affirmation ?

En moyenne, entre 2 et 3 personnes ont été exécutées chaque jour en 2015. En juin, c’est presque 5 personnes par jour. C’est une année record pour l’Iran. Nous parvenons à obtenir des données aussi précises et fiables car nous disposons d’un réseau à l’intérieur du pays. Nos sources d’informations sont variées : avocats, familles de condamnés et de victimes, témoins oculaires, personnel pénitencier… Nous validons une donnée quand elle est confirmée par deux sources indépendantes.
Cela fait huit ans que nous menons ce travail pour avoir une vision précise de l’application de la peine de mort en Iran où les autorités ne déclarent pas systématiquement les exécutions. En 2015, seules 39% des exécutions ont été annoncées par des sources officielles.

Comment expliquez-vous ce nombre si élevé d’exécutions au moment même où l’Iran cherche à gagner en respectabilité sur la scène internationale ?

Il est clair que la peine de mort ne fait reculer ni la criminalité ni le trafic de drogue. Les chiffres n’ont pas baissé. Les autorités elles-mêmes le reconnaissent. Les objectifs sont donc ailleurs. Nous nous sommes rendu compte que la planification des exécutions est en lien direct avec les événements politiques. Par exemple, nous avons des périodes où le nombre d’exécutions est très bas et c’est en général quand l’Iran est sous pression internationale. C’est le cas pendant les élections législatives ou présidentielles. En revanche, quand les autorités redoutent qu’un événement provoque des protestations, alors les exécutions deviennent plus massives. Autrement dit, la peine de mort est une manière pour les autorités de faire passer un message à la société civile et en particulier à la jeunesse. Une manière de dire : “Nous avons le pouvoir et nous pouvons faire ce que nous voulons de vous”.
Or, la politique d’ouverture que mène en ce moment l’Iran sur la scène internationale encourage l’optimisme et l’espoir de changement. Les autorités en ont bien conscience mais refusent toute ouverture à l’intérieur du pays et le font comprendre en multipliant les exécutions.

L’élection d’Hassan Rohani à la présidence iranienne en 2013 n’a donc rien changé. Il était pourtant décrit comme un “islamiste modéré”.

Son élection avait suscité de l’espoir chez de nombreux Iraniens et beaucoup disent encore qu’Hassan Rohani n’est pas responsable de cette montée en flèche des exécutions. Mais aucun élément tangible ne va dans ce sens. Au contraire. Les rares fois où ses ministres ont mentionné la peine de mort, c’était pour la défendre. Hassan Rohani, lui-même, n’a jamais fait de déclarations qui pouvaient sous-entendre qu’il était contre l’utilisation massive de la peine de mort. En outre, on se rend compte que les gouverneurs de province qui dépendent des autorités centrales n’usent même pas de leur pouvoir légal pour interdire les exécutions publiques alors qu’ils peuvent le faire. En 2015, 57 exécutions ont eu lieu dans l’espace public, aux yeux de tous et notamment des enfants. Entre la période d’Ahmadinejad, l’ancien président iranien, et celle de Rohani, les exécutions ont augmenté de 40%.

Dans le rapport, vous dénoncez également des peines particulièrement barbares. Qu’est-ce que cela engendre dans la société iranienne ?

En effet, en Iran, l’amputation publique de mains ou de pieds est encore pratiquée en guise de peine pénale. Pire, en mars 2015, un œil a été arraché à un détenu. C’est ce qu’on appelle dans le code pénal iranien les lois de Qisas (le juste châtiment). Autrement dit, la loi du talion : “œil pour œil, dent pour dent”. Mais là encore, cette peine n’a pas été exécutée au hasard. Cela s’est passé le jour où le ministre iranien des Affaires étrangères rencontrait ses homologues européens et américains.
Ce qui est le plus barbare dans ce principe juridique, c’est qu’il fait porter la responsabilité de la peine aux citoyens, et plus précisément aux victimes. Les personnes qui viennent d’être victimes de violence ont le choix de pardonner ou d’exiger une peine similaire à l’acte dont elles ont été victimes. Ce qui fait que la violence engendre la violence. C’est un dangereux engrenage car plus la société devient violente, plus il est facile pour un régime de légitimer sa propre brutalité.

Malgré la gravité de la situation, quels signes encourageants notez-vous ?

Dans le rapport, nous notons que le mouvement pour la défense des droits humains prend de l’ampleur. Notamment, nous avons comptabilisé, en 2015, davantage de cas de pardons que de demandes de peine de mort de la part des familles victimes d’un crime. Cela montre que lorsque les gens ont le choix, ils préfèrent une peine de prison plutôt que la condamnation à mort. C’est le signe le plus encourageant qui démontre qu’un changement en profondeur est en train de se produire dans la société iranienne.

Quel rôle peuvent jouer les États abolitionnistes comme la France pour faire fléchir l’Iran ?

Depuis que les autorités iraniennes font beaucoup d’efforts pour normaliser leurs relations avec l’Occident, elles sont très sensibles à toute remarque qui en provient. C’est donc une énorme opportunité pour faire avancer les droits de l’homme et défendre la cause abolitionniste. Si les États comme la France faisaient le choix de mettre la peine capitale en haut de leur agenda politique, je suis persuadé qu’ils auraient un impact sur les autorités iraniennes. C’est une question de volonté politique.

Camille SARRET
A télécharger : 
Rapport 2015 sur la peine de mort en Iran (version anglophone)