Retrouvons de la sérénité


14 juillet 2015

Le Congrès régional de Kuala Lumpur vient de s’achever sur un grand succès et plusieurs premiers pas notables. D’abord cette première édition d‘un Congrès régional en Asie est le premier pas vers le Congrès mondial qui se tiendra à Oslo du 21 au 23 juin 2016. Ensuite, ce Congrès régional est aussi le premier pas en Asie d’un mouvement abolitionniste mondial, incluant les grandes organisations européennes mais aussi internationales. La tenue de l’Assemblée générale de la Coalition mondiale lors de cet événement en est l’exemple même. C’est aussi, la première fois que plus de 400 participants, venant de 54 pays (dont 28 pays d’Asie) se rencontrent pour parler d’abolition au sein de l’espace asiatique. Enfin, ce fût aussi les premiers pas de notre partenaire ADPAN (Réseau contre la peine de mort en Asie), en termes de visibilité et d’exposition médiatique et publique. Nous espérons que, dorénavant, ADPAN va pouvoir devenir un acteur incontournable de l’abolition régionale pour un débat serein et ouvert en Asie.

J’ai profité de ma présence en Asie du Sud-Est pour faire une visite en Indonésie et apporter amitié et réconfort à Serge Atlaoui qui du fond de sa cellule a suivi l’extraordinaire mobilisation française. Il m’a expressément demandé de remercier chaque Français pour ce soutien extraordinaire qu’il a reçu ces derniers mois. Sa volonté et sa ténacité sont admirables dans des conditions difficiles et éprouvantes. J’ai aussi voulu apporter mon soutien aux formidables acteurs de terrain que sont les organisations de la société civile et les avocats indonésiens qui luttent de manière acharnée pour les droits de l’homme, pour leur clients, pour la vérité, la sérénité et pour éduquer des décideurs politiques et les médias, avides de sensationnalisme. Il est au contraire important de garder la raison pour le bien des politiques publiques et de la Justice. Le cas de Mary-Jane Veloso, citoyenne philippine qui a été sortie in extremis du peloton d’exécution suite à un rebondissement incroyable sur son affaire, en est un exemple frappant.

Cette course au sensationnalisme se retrouve autour de l’affaire du Rapport du BNN (Bureau national des narcotiques) qui avait, il y a quelque temps, avancé un chiffre de 35 morts/jour dû à la drogue, et qui est monté, telle une spéculation boursière irraisonnée jusqu’à 50 morts/jours pour redescendre au chiffre officiel de 30 morts/jours (ou 11000 morts/an). D’ailleurs, un excellent article dans la très officielle et sérieuse revue scientifique britannique, The Lancet, fait très justement remarquer que la méthodologie utilisée par le BNN n’a rien de scientifique et est plus que justifiable dans ses conclusions. Ainsi, le cœur de la justification collective des médias, des politiques comme du Procureur général de Jakarta se fonderait sur une étude peu scientifique et fondée sur une nécessité de santé publique réelle, mais largement instrumentalisée.

On pourrait ainsi, ramener ce chiffre de 11.000 morts annuels au nombre de morts causés par les nombreux accidents de la route, 3 fois plus nombreux (soit selon des chiffres de 2010 : 31.290 morts/an, ou 89 morts/jour). On pourrait aussi faire la comparaison avec le nombre de morts dû au tabac qui serait 30 à 40 fois supérieures, puisqu’une étude menée par l’Ikatan Ahli Kesehatan Masyarakat (association des experts en santé publique) en 2007, faisait état de 405.720 morts par an, soit 1.127 morts par jour.

L’émotion ne doit pas guider les pas de nos dirigeants dans les réformes législatives, dans les décisions politiques ou dans le rendu de la Justice. La situation en Indonésie en est l’exemple même, tout comme la Tunisie. En effet, les immondes attentats de Sousse (qui ont fait 38 morts) suivant de quelques mois les attentats du Bardo à Tunis ne doivent pas être un argument à moins de démocratie et moins de droits de l’homme, mais à plus d’état de droit et de justice. C’est dans ces moments de responsabilités absolus que les femmes et les hommes politiques doivent faire preuves de sagesse, de raison et de conscience, pour mener à bien des politiques publiques efficaces, réalistes et utiles, tout en respectant les droits fondamentaux, les droits de l’homme et le premier de ceux-ci le droit à la vie.

Raphaël Chenuil-Hazan
Directeur Général ECPM

PS : Toute l’équipe d’ECPM vous souhaite de bonnes vacances d’été et vous donne rendez-vous en septembre pour une rentrée abolitionniste bien chargée. Le prochain numéro de votre Newsletter « Le Mail de l’abolition » (MAB) sera ainsi en septembre.Retrouvons de la sérénité