Drogue et peine de mort


19 mars 2012

« Au pouvoir, le Front national éradiquera le trafic de drogue. Pour cela, il rétablira la peine de mort pour les trafiquants » déclarait Marine Le Pen, présidente du Front national et candidate aux élections présidentielles de 2012, dans un communiqué de novembre dernier.

Même si aujourd’hui, en France, l’abolition de la peine de mort est constitutionnellement reconnue, garantissant l’impossibilité de son rétablissement quelque soit le président au pouvoir. Cette application de la peine capitale est une réalité dans de nombreux pays.

Aujourd’hui, il existe 32 pays ou territoires dans le monde dont les législations prévoient l’application de la peine de mort pour des infractions liées à la drogue, de la possession avec intention de trafics à l’organisation en bande organisée de narcotrafiquants.

Parmi ces 32 États, trois catégories se distinguent : les pays appliquant fortement la peine de mort pour des délits liés à la drogue, les pays l’appliquant peu, et ceux qui ont conservé leurs législations mais qui ne la pratiquent plus. Cinq de ces pays ne donnent pas un libre accès aux données relatives à l’application de la peine de mort en matière de drogue ; mais selon les présomptions, ils se rapprocheraient de la catégorie de la haute application.

Répartition des pays ayant recours à la peine de mort pour des infractions liées à la drogue
Haute pratique Faible pratique Pas de pratique Abolitionniste de fait Données insuffisantes
Chine
Iran
Arabie Saoudite
Vietnam
Malaisie
Singapour
Indonésie
Koweït
Thaïlande
Pakistan
Egypte
Syrie
Taïwan
Emirats Arabes Unis
Inde
Etats-Unis
Gaza
Bangladesh Barheïn
Cuba
Oman
Myanmar
Laos
Corée du Sud
Sri Lanka
Brunei-Darussalam
Quatar (moratoire de 2003)
Corée du Nord
Libye
Soudan
Irak
Yemen
Source: Patrick Gallahue, The Death Penalty for drug offences, Global Overview 2011, International Harm Reduction Association, 2011.

De même que sa pratique générale, la peine capitale pour crimes liés à la drogue dépend principalement du contexte sociopolitique du pays qui l’applique. Des pays comme la Malaisie, point de circulation du narcotrafic, sera davantage enclin à appliquer une sentence sévère aux narcotrafiquants, qu’un pays comme les États-Unis ne prévoyant la peine capitale que pour les crimes les plus violents.

La catégorie de pays exécutant le plus pour des infractions liées à la drogue est la même que celle des pays exécutant le plus pour tous types de crime. Dans la plupart de ceux-ci, la peine de mort pour trafics de drogue est obligatoire (Iran, Malaise, Singapour, Yémen, Soudan) et la majorité des personnes condamnées à mort et exécutées le sont pour des délits liés à la drogue.


On peut estimer s’élevant à plusieurs centaines le nombre d’exécutions par an. Cependant elles ne sont pratiquées que dans ces pays en marge de la communauté internationale, dont la plupart cultivent un culte du secret ne permettant pas de chiffrage exacte de la pratique.

Le fantasme de la lutte contre le narcotrafic

Les pays rétentionnistes justifient l’application de la peine capitale par la lutte contre les narcotrafiquants de drogues dures, fléau minant leurs populations ; comme certains autres la justifient par la lutte contre le terrorisme.
Cependant, à l’issue d’un bref coup d’œil aux données relatives aux condamnations pour drogue, l’argument périclite. La grande majorité des condamnés pour des crimes liés à la drogue ne sont que des mules transportant de faibles quantités de « drogues douces », telle la marijuana. Par exemple, en Malaisie entre 2008 et 2010, plus de 57% des condamnations à mort pour délits de narcotrafic ont été prononcées à l’encontre de petits trafiquants de marijuana. Ajouter à cela, peu de barons de la drogue se trouvent dans les couloirs de la mort. Souvent, les « narcotrafiquants » interpelés sont des jeunes, pauvres et vulnérables, exploités par des gangs. Cette situation est d’ailleurs reconnue par le gouvernement de Singapour, selon lequel l’exécution de ces petits trafiquants permet d’envoyer un message à leurs employeurs.

Le cas des étrangers condamnés pour narcotrafic

Une autre disparité peut être exposée dans l’application de la peine de mort pour trafic de drogue. Le narcotrafic est par nature un crime transnational. Fréquemment les personnes condamnées ne sont pas des nationaux du pays dans lequel ils ont été arrêtés. Comme par exemple, le cas de Serge Atlaoui, condamné à mort en Indonésie dans une affaire de drogue, défendu par Me Richard Sédillot, administrateur d’Ensemble contre la peine de mort. Il est cependant rare que les prisonniers aient accès à une assistance juridique respectant les règles de droit international. La plupart des étrangers condamnés pour drogue n’ont pas accès à une assistance consulaire, ni à un traducteur (règles de procédure impératives en droit international). Ainsi, ces centaines de personnes exécutées chaque année proviennent de pays rétentionnistes ou non.

La coopération internationale contre le narcotrafic, la notion de responsabilité partagée

L’étendue de ce problème n’est ainsi pas circonscrite aux pays rétentionnistes. De nombreux pays abolitionnistes ne soutiennent non seulement pas leurs nationaux inculpés de trafic de drogue, mais permettent l’extradition de trafiquants dans des pays rétentionnistes, vouant ces derniers à l’éventualité d’une peine de mort. En 2010, le Myanmar, abolitionniste de fait, a ainsi livré plus de 128 trafiquants de drogues aux autorités chinoises, sous le mandat de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) qui avait proposé une lutte conjointe contre le narco trafic entre 6 États asiatiques.
Pour lutter contre ce phénomène, le Parlement européen a adopté, en 2010, une résolution prohibant la violation des droits de l’homme et l’utilisation de la peine de mort dans la poursuite de la coopération régionale de lutte contre le narcotrafic. L’abolition de la peine de mort pour ces crimes est donc devenue un préalable pour obtenir un soutien, quel qu’il soit, des pays de l’Union européenne pour des opérations de lutte contre le trafic de narcotiques.

Un consensus international vers l’abolition de la peine de mort pour trafic de drogues

Cette avancée abolitionniste de l’Union européenne fait partie d’un mouvement général vers un consensus international contre l’utilisation de la peine capitale, et pour ce type de crime en particulier. Tout d’abord, cette pratique de la peine capitale est contraire au droit international général. Selon le Pacte International relatifs aux droits civils et politiques de 1966, la peine de mort n’est pas interdite mais limitée aux « crimes les plus graves » (Article 6.2). Or depuis les années 1980, les différents bureaux affiliés à l’Organisation des Nations unies (Comité des droits de l’homme, ONUDC, et divers Rapporteurs spéciaux) développent doctrine rejetant le narcotrafic comme crime grave.

En parallèle à cette avancée, les pays eux même ont réduit leur application de la peine capitale. Les exécutions semblent s’atténuer. De nombreux pays condamnent mais n’exécutent plus. De 85 pays appliquant la peine de mort pour trafic de drogues en 1985, il n’en reste aujourd’hui que 32 la prévoyant, et 18 la pratiquant.

Le débat sur la constitutionnalité de cette application de la peine capitale semble donc désormais ouvert. La principale question reste celle de l’abolition en elle-même souvent considérée par les pays rétentionnistes comme valeur occidentale sans lien avec leur culture, et notamment dans les pays prévoyant la peine capitale pour le narcotrafic.

Amina Jacquemin