États-Unis : l’abolition s’éloigne


6 décembre 2016

Peine de mort déclarée institutionnelle dans certains états par la Cour Suprême, opinion de plus en plus défavorable à ce châtiment inhumain… depuis quelques années, on pouvait s’autoriser à imaginer une abolition américaine. Las, trois référendums et une élection auront suffi à éloigner cet horizon.

L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis réduit fortement l’espoir d’une abolition américaine de la peine de mort. Le positionnement personnel de Donald Trump sur cette question n’est pas un mystère. En 1989 déjà, il avait acheté une pleine page du New York Daily News pour appeler au rétablissement de la peine de mort pour cinq mineurs coupables de viol et de meurtre. Plus récemment, lors de la campagne électorale, il n’a évoqué la peine de mort qu’une fois, réagissant au meurtre de deux policiers par deux hommes afro-américains : « Ces deux [policiers] ont été abattus par deux voyous, qui devront absolument encourir la peine de mort. Ils disent que ce n’est pas dissuasif. Je vais vous dire une chose. Peut-être que ce n’est pas dissuasif, mais on pourra être certains que ces deux-là ne commettront plus de meurtres. »

L’arrivée de Donald Trump au pouvoir risque de maintenir le statu quo pour de très nombreuses années. Aux États-Unis, c’est la Cour Suprême, composée de 9 juges nommés à vie, qui tranche sur les grandes questions de société. C’est notamment cette institution qui a acté, ces dernières années, de l’inconstitutionnalité de certaines applications de la peine de mort dans des États comme la Floride. Avec le décès du juge conservateur Antonin Scalia, la Cour Suprême est arrivée à une situation d’égalité avec 4 juges progressistes et 4 juges conservateurs. La nomination du successeur de M. Scalia s’avère cruciale. Le remplaçant proposé par Barack Obama, Merrick Garland, s’est heurté au refus d’un Sénat majoritairement républicain. Selon toute vraisemblance, Donald Trump proposera donc à la Cour Suprême un juge conservateur. Il a déjà déclaré que son choix se porterait sur un juge « pro-life », c’est-à-dire opposé à l’avortement. Il y a, en outre, de fortes chances pour que M. Trump ait l’occasion de nommer d’autres nouveaux juges à la Cour Suprême. Trois d’entre eux sont déjà très âgés. La progressiste Ruth Bader Ginsburg a 83 ans, le conservateur Anthony Kennedy en a 80, et le progressiste Stephen Breyer 78.

Référendums

La veille de l’élection de Donald Trump, trois États votaient sur la peine de mort. Et trois autres mauvaises nouvelles nous sont arrivées.

Le 8 novembre, les habitants de l’Oklahoma se sont prononcés à 67 % pour l’inscription de la peine de mort dans leur constitution. Celle-ci stipule dorénavant que « n’importe quelle méthode d’exécution sera autorisée, à moins qu’elle ne soit prohibée par la Constitution des États-Unis ». Cette mesure, unique en son genre, fait suite à de graves problèmes liés aux exécutions en Oklahoma. En 2014, la mise à mort de Clayton Lockett avait suscité l’indignation, le condamné ayant passé un long moment à gémir et à s’agiter sur sa civière. Un moratoire temporaire avait été adopté.

L’Oklahoma détient le triste record du plus grand nombre d’exécutions par habitant. Cet état fait partie de ce groupe homogène d’États rétentionnistes qui s’étend du Vieux Sud au Texas. Nous avons récemment publié une interview de Ndume Olatushani, injustement condamné à mort dans le Tennessee. Il y décrit notamment le contexte politique et racial qui l’a mené à passer 28 ans derrière les barreaux pour un crime qu’il n’a pas commis. À lire ici.

En mai 2015, le Parlement du Nebraska avait aboli la peine de mort avec une large majorité. Une décision attendue pour un État qui n’a exécuté « que » à trois reprises depuis 1959 et dont les prisons ne comptent « que » 10 condamnés à mort dans ses prisons. C’était sans compter sur l’énergie du gouverneur Pete Ricketts, qui a engagé ses fonds personnels à hauteur de 300 000 dollars pour soutenir une pétition puis un référendum sur la question de la peine de mort. Le résultat est sans appel : 60 % des votants ont demandé un retour à la peine de mort.

Comme de nombreux États, le Nebraska se heurte à un problème d’approvisionnement en produits létaux. L’an passé, le Nebraska avait défrayé la chronique en effectuant une commande de 50 000 dollars à un fournisseur basé en Inde, qui n’avait finalement rien envoyé ni rien remboursé. L’épisode, qui a eu une forte résonance médiatique, avait naturellement déplu au Département des affaires correctionnelles du Nebraska. Pour éviter que ce genre de déconvenue se reproduise, son directeur vient de transmettre à l’État une proposition permettant d’entourer ses démarches de davantage de confidentialité.

Les électeurs californiens étaient également appelés à voter le 8 novembre sur la peine de mort. Le scrutin concernait un très grand nombre de propositions allant de la légalisation du cannabis pour un usage récréatif à l’utilisation du préservatif dans l’industrie pornographique. Parmi elles, deux propositions traitaient de la peine de mort. D’un côté la proposition 62 demandait l’abolition, de l’autre la proposition 66 demandait son renforcement, avec notamment des délais de procédures d’appels plus courts et l’obligation de travailler en prison pour les condamnés. Résultat : les électeurs ont refusé la 62 en votant non à 53 % et ont soutenu la 66 à 51 %.

La nouvelle est d’autant plus mauvaise que la Californie est l’état qui compte le plus de condamnés à mort avec 741 personnes dans le couloir de la mort. Un sondage de 2014 a cependant suggéré que le soutien populaire à la peine de mort avait fortement baissé, passant, en 3 ans, de 69 % à 56 % de la population.

Difficile, donc, d’entrevoir une abolition de la peine de mort aux États-Unis. Quelques chiffres permettent cependant de garder espoir. Le Pew Research Institute a publié en septembre dernier une enquête d’opinion qui a montré que la population américaine n’a jamais été aussi méfiante à l’égard de la peine de mort. Pour la première fois, le taux de soutien est passé sous la barre des 50 %. Enfin, il faut se rappeler que les exécutions, aux États-Unis, sont très concentrées sur le territoire. Sur les plus de 3 000 comtés qui composent le pays, 15 sont à l’origine de 30 % des exécutions depuis 1976. Un enjeu finalement très local…