Interview d’A. Grésillon sur la reprise des exécutions au Japon


29 mars 2012

Le Japon a exécuté par pendaison aujourd’hui, jeudi 29 mars, trois condamnés à mort alors qu’elle n’avait procédé à aucune exécution depuis vingt mois. Ariane Grésillon, directrice adjointe d’Ensemble contre la peine de mort, a accepté de répondre aux questions de RFI Espagne sur ce sujet délicat :

1) Quelle est la réaction d’ECPM face à l’annonce de la reprise des exécutions au Japon.

Pour l’association que je représente, Ensemble contre la peine de mort et qui se bat pour l’abolition universelle de la peine capitale, c’est une grande déception, et ceci à plusieurs titres. Une grande déception car l’arrivée au pouvoir du Parti démocrate du Japon en 2009 nous avait donné espoir avec des prises de position en faveur de l’abolition de la part de l’ancienne ministre de la Justice Keiko Chiba. Même si on suppose que ces positions abolitionnistes ont un lien avec sa démission, et que la nouvelle ministre, Toshio Ogawa, avait annoncé que le Japon pourrait reprendre les exécutions, c’est un immense choc que le Japon exécute de nouveau, après un an et demi sans exécutions. C’est une grande déception, sur le plan national mais aussi sur le plan international car, le Japon est une des seules démocraties avec les États-Unis a pratiqué des exécutions, et ces deux grandes puissances mondiales, chacune avec leur zone d’influence, sont un facteur de ralentissement pour la progression abolitionniste au niveau mondial. Pour nous c’est un recul, que nous souhaitons juste sporadique, dans la progression abolitionniste mondiale qui est en marche.

2) Pourquoi le Japon a-t-il exécuté ces trois personnes alors que le pays n’avait pas exécuté depuis presque deux ans ? Qu’est-ce qui expliquait cette trêve ?

Ce n’est pas la première fois que le Japon reprend des exécutions, c’était déjà le cas en 1993 après quatre ans sans exécution.
Vous savez, le fait que le Japon n’exécute plus depuis 2010 ne reposait sur aucun engagement officiel et ne tenait qu’à des prises de position personnelles.
On sait aussi que la forte instabilité ministérielle ne laissait pas aux ministres successifs le temps d’étudier les dossiers des condamnés et on craignait aussi que le nombre excessif de condamnés à mort au Japon ne provoque une reprise des exécutions. C’est le cas, aujourd’hui le Japon a décidé de reprendre les exécutions, comme le permet sa loi, et rien ni personne ne peut aller contre. Cela nous montre la fragilité de ce type de position et l’importance d’abolir purement et simplement la peine de mort dans la loi et par la ratification des traités internationaux, ou à défaut d’au moins officialiser le moratoire sur les exécutions, c’est pour cela que nous nous battons au quotidien.

3) Pourquoi le Japon maintient-il la peine de mort malgré les critiques à l’intérieur et à l’extérieur du pays ?

La peine de mort au Japon est très ancrée culturellement, elle est en lien avec les notions d’honneur et de réparation des offenses faites aux victimes. On cite des chiffres comme 85 % de la population qui serait favorable à la peine de mort au Japon !! C’est quelque chose de bien ancrée et de peu débattu à l’intérieur de la société japonaise, il me semble.
L'argument sécuritaire est aussi important.

Ensuite, je ne crois pas que le Japon soit beaucoup embêté sur ce sujet de la part de la communauté internationale. Si vous interrogez les personnes autour de vous, vous verrez que très peu, même des personnes intéressées par la question des droits de l’homme, savent que le Japon maintient la peine capitale. La Japon garde un secret relatif sur cet état de fait depuis de nombreuses années. En exécutant peu, aussi, il ne focalise pas l’attention de la communauté internationale. Nous espérons que ce recul provoquera des prises de positions de la part de la communauté internationale, qu’il serve, au moins à faire prendre conscience de ce qui se passe dans ce pays.
L’Europe pourrait s’interroger, par exemple sur la suspension du statut d’observateur du Japon, comme des USA, auprès du Conseil de l’Europe, tant que ces deux pays n’auront pas aboli.

4) Dans quels cas s’applique-t-elle ?

Les principaux chefs d’inculpation au Japon sont l’homicide (la peine de mort est de fait quasi obligatoire pour les meurtres de plusieurs personnes ou lorsque l’acte est commis avec une particulière cruauté, après consultation de la famille de la victime) les actes terroristes entrainant la mort, la piraterie aérienne entrainant la mort, la trahison.

5) Si vous avez des informations, pouvez-vous nous informer sur les conditions de détention dans les couloirs de la mort nippons puisque vous me dites qu’elles sont dans les plus terribles du monde ?

C’est exact, et c’est encore une chose très méconnue. Les conditions d’enfermement au Japon sont terribles et la façon dont on traite les condamnés à mort, mais aussi les proches, les familles de ces condamnés à mort sont parmi les pires au monde. Un condamné à mort peut être enfermé pendant des dizaines d’années dans un niveau d’isolement extrême dans des cellules de 5m2, éclairées en permanence et surveillées par une caméra, les condamnés doivent demander une permission pour se lever ou se coucher. Ni les condamnés ni les familles ne sont informés du jour de l’exécution. Les condamnés à mort savent qu’il va y avoir une exécution au bruit des bottes des gardiens dans les couloirs, le matin même de l’exécution, car ceux-ci ne portent pas les mêmes chaussures ce jour-là. C’est assez terrible d’entendre tout cela, dans une démocratie qui sert à bien des niveaux d’exemple.

Nous organisons justement le 5e Congrès mondial en Espagne en 2013, et nous espérons que la population espagnole sera nombreuse à se mobiliser pour ce grand rendez-vous citoyen.