Patrick Gallahue, un spécialiste de l’abolition


22 mars 2012

Patrick Gallahue est responsable du projet « peine de mort » chez Harm Reduction International, association qu’il a rejoint en 2009. Patrick fut l’auteur d’articles et de rapports relatifs à la pratique de la peine de mort pour des crimes liés à la drogue, la complicité des agences d’aides dans les abus faits aux droits humains, les mécanismes d’exigibilité des droits, la guerre contre la drogue et le droit humanitaire et le lien entre la guerre contre le terrorisme et celle contre le narcotrafic. Auparavant, Patrick fut journaliste à New York et gagna plusieurs prix locaux et nationaux. Il possède une licence de l’Université de Long Island et un master en droit international des droits de l’homme de l’Université National d’Irlande à Galway.

ECPM: Pouvez-vous nous expliquer quel est son objet et votre rôle en son sein ?

Patrick Gallahue: Harm Reduction International promeut une approche de la lutte contre la drogue sous l’angle de la santé et des droits de l’homme. Nous plaidons en faveur de programmes qui incitent à trouver des solutions plus satisfaisantes pour les consommateurs de drogue dans ces domaines. Nous faisons beaucoup de recherches au sujet des politiques de lutte contre la drogue et de l’encadrement législatif qui les accompagne. Certaines de ces lois violent de nombreux droits humains, comme celles qui prévoient la détention obligatoire –durant laquelle le travail forcé et les abus physiques sont fréquents- ou celles qui violent le droit d’accéder à la meilleure qualité de soins possible. Nous avons également commencé à faire des recherches sur la peine de mort et les incriminations liés à la drogue en 2007. Nous nous sommes tout d’abord penchés sur la doctrine et la jurisprudence des instances des Nations Unies pour les droits de l’homme, ce qui a mis en évidence le fait que les lois prévoyant la peine de mort pour des crimes liés à la drogue bafouent le droit à la vie, consacré par de nombreux instruments juridiques. Nous les avons réunies dans un rapport. Cependant, au cours de ces recherches, nous avons également été confrontés à des informations inattendues. Par exemple nous nous sommes rendus compte que bien des États appliquant la peine de mort pour des crimes liés à la drogue –à l’instar de l’Iran, de la Chine, du Vietnam- sont également récipiendaires d’un montant significatif d’aide à la lutte contre les narcotrafics. La plupart de ces aides proviennent de gouvernements abolitionnistes, ce qui suscite notre inquiétude sur le fait qu’ils facilitent en réalité l’exécution des condamnés pour des crimes lié à la drogue, à l’étranger. Dans certains cas, ce lien peut être clairement établi et nous avons exposé succinctement ces préoccupations dans un rapport intitulé « Complicité ou abolition ? La peine de mort et le soutien international à la lutte anti-drogue ». Depuis que nous avons fait mention de ces craintes pour la première fois en 2008, nous avons travaillé avec des donateurs et des organismes de mise en œuvre de l’aide afin de développer des outils de sauvegarde des droits de l’homme dans le cadre de la lutte contre les stupéfiants. Ce travail est soutenu par la Commission Européenne.

ECPM: Comment expliquez-vous le fait que 32 pays, en particulier en Asie, maintiennent la peine capitale pour des infractions liées à la drogue ?

PG: Cela dépend vraiment du pays. Certaines lois mêlant drogue et peine de mort sont récentes quand d’autres sont en vigueur depuis un bon moment. La plupart furent introduites entre les années 70 et 90. Parfois l’entrée en vigueur de ces lois coïncide avec celle de traités relatifs au contrôle des stupéfiants, d’autres sont motivées par l’hystérie associée à l’usage de la drogue. L’Asie n’est pas la seule à répondre d’une manière que je qualifie d’hystérique. Au cours de la psychose sur la consommation de crack aux États-Unis, d’absurdes peines planchers furent mises en œuvre, contribuant à faire de la population carcérale américaine la plus importante du monde. L’usage de drogue n’a de cesse d’augmenter, puis de redescendre, d’un bout à l’autre de la planète et s’il augmente quelque part, certains politiciens peuvent alors sombrer dans la panique et introduire des dispositions législatives maladroites. Reconnaissons-le, le stéréotype d’un trafiquant de drogue n’est pas sympathique, mais en réalité très peu de personnes correspondent à ce stéréotype. La plupart des condamnés à mort exécutés étaient des « mules » – de simples messagers qui, par naïveté ou désespoir se sont fait duper, forcer ou persuader de transporter la drogue pour des membres plus hauts placés. Leur condamnation à mort ou leur exécution n’a aucun effet sur le commerce mondial de la drogue ou sa consommation locale. Si l’on regarde l’Iran, c’est l’endroit au monde qui a les lois les plus répressives sur la drogue, et c’est là également qu’il y un des plus hauts taux de consommation de drogue entrainant de graves conséquences.
Quoi qu’il en soit, je veux ne faire apparaitre aucune sorte de norme régionale asiatique. Le fait est qu’il y a plus de législations mêlant drogue et peine de mort dans la région, et que bon nombre d’États sont rétentionnistes, cependant chaque pays est unique. La Chine, l’Iran, le Vietnam, la Corée du Nord et Singapour pratiquent la peine de mort pour de façon régulière. L’Indonésie et la Thaïlande ne l’ont fait que très rarement. Myanmar, le Laos, Brunei-Darussalam, la Corée du Sud et le Sri Lanka sont désormais abolitionnistes de fait puisqu’ils n’ont pas pratiqué d’exécutions depuis des années, voir des dizaines d’années. L’Inde et le Bangladesh, autant qu’on le sache, n’ont jamais exécuté qui que ce soit pour des questions de drogue.

ECPM: A votre avis, quels pourraient être les moyens d’actions pour encourager l’abolition de la peine de mort pour ces infractions ?

PG: Je prendrai encore une fois l’exemple de l’Iran. Nous savons que ces lois ne sont pas efficaces. Je pense également qu’entant qu’avocats nous devons nous rappeler des cas relatifs aux crimes liés aux stupéfiants. Ils n’impliquent pas les cerveaux des gangs de narcotrafic, mais des petits vendeurs, et sont souvent pathétiques. Le fait qu’un État quel qu’il soit mette à mort ces personnes est atroce. Nous devrions mieux connaître ces affaires et mieux les faire connaître. Sally Ordinario-Villanueva, qui a été exécutée en Chine l’année dernière, était un exemple bouleversant. Iwuchukwu Amara Tochi n’était lui qu’un enfant ! Nous devons lever le voile sur ces affaires.
Par ailleurs, nous devons envisager la coopération internationale en matière de lutte contre la drogue à travers le prisme des droits de l’homme, au moins prendre en compte les risques de violations qu’elle entraîne. Si le monde entier est prêt à s’unir pour lutter contre le narcotrafic, alors les règles fondamentales établies par les normes internationales relatives aux droits de l’homme doivent être respectées par toutes les parties prenantes. Si ce n’est pas le cas, les partenariats devront être reconsidérés.

Propos recueillis par Marianne Rossi
Traduction Julie Prêtre