Profil : victime du terrorisme et contre la peine de mort


12 décembre 2015

Depuis les attentats qui ont frappé Paris le 13 novembre, l’Association française des victimes du terrorisme (AfVT.org) est submergée d’appels. Comptant 10 psychologues et 10 avocats, elle apporte une assistance médicale et juridique à toutes les personnes frappées par des attentats. Luttant contre le terrorisme international, AfVT.org et l’un des partenaires d’ECPM dans la réalisation du projet « Mon crayon pour l’abolition ». Interview de Guillaume Denoix de Saint Marc, fondateur de l’AfVT.org.

Comment votre association vient-elle en aide aux victimes des attentats de Paris ?

Nous ne disposons pas de listes des victimes. C’est les victimes par l’effet du bouche-à-oreille qui nous appellent ou nous envoient un email. Suite à ce premier contact, nous les invitons à rencontrer les psychologues et juristes de notre association. L’AfVT.org offre un accompagnement pluridisciplinaire adapté aux besoins et à l’état traumatique de chaque victime. Nous faisons du « sur-mesure ». Par exemple, si on voit une personne fortement traumatisée qui n’arrive plus à dormir, on va d’abord s’attacher à régler les troubles de sommeil dont elle souffre, avant de l’inviter à porter plainte ou de régler ses problèmes de succession. C’est un accompagnement progressif selon les capacités et les problèmes de chacun.

Dans une optique de plus long terme, l’association offre des stages thérapeutiques, Phénix pour les adultes et Papillon pour les jeunes de 15 à 25 ans. Sur une semaine, nous réunissons, à la charge de l’association, des victimes du terrorisme de toute nationalité et de toute religion. Les journées s’organisent autour de groupes de paroles, de pratiques d’arts thérapeutiques et d’activités sportives. Par exemple, au dernier stage Papillon, de jeunes français qui ont vécu les attentats de Marrakech ont échangé avec des Marocains, des Algériens ou encore des Libanais, eux-mêmes victimes d’actes terroristes. Ces échanges multiculturels sont très précieux et enrichissants. Cela permet aux victimes de mieux saisir le phénomène du terrorisme et de s’ouvrir à une plus grande humanité. Quand ils débutent le projet, les participants s’engagent sur trois ans et aucun n’abandonne au cours de route. On les retrouve systématiquement l’année suivante. Cela les aide à se reconstruire.

Combien de victimes des attentats de Paris du 13 novembre accompagnez-vous actuellement ?

Une semaine après les attentats, une centaine de victimes avaient déjà fait appel à nos services. Cela va encore continuer pendant plusieurs semaines. On estime qu’entre 3000 et 3500 personnes ont été touchées par les attentats de Paris, dont une majorité de jeunes.

Quels types de victimes prenez vous en charge ?

Nous prenons en charge toutes les victimes qui nous contactent. Les personnes sont impliquées à des degrés divers mais si elles nous contactent cela signifie qu’elles ont besoin d’une manière ou d’une autre d’un soutien. Il y a bien sûr les victimes qui ont perdu un ou des proche(s), celles qui ont été blessées et celles qui ont survécu mais qui peuvent avoir perdu un proche. Il y a aussi celles qui ont été témoins des attaques ou encore celles qui ont participé aux secours.

Dans quel état traumatique se retrouvent les victimes du terrorisme ?

Les victimes du terrorisme subissent une forme de déshumanisation. Elles sont soudainement propulsées dans un état de guerre et se retrouvent, malgré elles, impliquées dans un meurtre de masse hyper médiatisé. Elle se sentent alors instrumentalisées car elles réalisent que c’est par elles que les terroristes ont cherché à frapper toute une société. Elles doivent reconquérir leur humanité, redevenir acteur de leur vie. C’est pour cela qu’on parle de reconstruction de soi.

Alors qu’elles ont subi des actes barbares, les victimes du terrorisme se positionnent rarement en faveur de la peine de mort. Comment cela s’explique-t-il ?

Il y a parfois des envies de vengeance, et cela est bien naturel, mais elles sont le plus souvent de courte durée. En générale les victimes du terrorisme soutiennent l’abolition de la peine de mort. Elles ne veulent pas répondre à la violence par les mêmes armes. Elles ne veulent pas ressembler à ceux qui anéantissent la vie et n’ont plus foi en l’humanité. La meilleure réponse à la déshumanisation, c’est la défense de la vie. Ce sont les gouvernements qui instrumentalisent à leur profit la voix des victimes du terrorisme. Ils disent agir en leur nom quand ils recourent à la peine de mort alors qu’ils ne cherchent à apporter qu’une solution rapide et démagogique au terrorisme.

Comment collaborez-vous avec Ensemble contre la peine de mort ?

ECPM offre aux victimes du terrorisme l’occasion de témoigner dans des congrès, auprès des médias et surtout auprès de scolaires. Par exemple, dans le cadre du projet d’initiation au journalisme « Mon crayon pour l’abolition » d’ECPM, des jeunes qui ont bénéficié des stages Papillon témoignent dans des classes de collèges et lycées de leur expérience du terrorisme et apportent leur réflexion sur la peine de mort. Alors qu’ils ont encore un éclat de bombe dans le dos ou la cicatrice de la balle qui a perforé le bras, ils expliquent à des adolescents à peine plus jeunes qu’eux que la peine de mort ne sert à rien contre le terrorisme. Ce sont les meilleurs messages qu’on peut délivrer contre la peine de mort.

Propos recueillis par Camille Sarret.