Indonésie: Parcours tortueux jusqu’à l’île-prison de Serge Atlaoui


15 novembre 2019

Le 11 novembre 2005, Serge Atlaoui entrait dans le couloir de la mort indonésien, accusé de trafic de drogue. Quatorze années plus tard, le Président et le Directeur d'ECPM, Alain Morvan et Raphaël Chenuil-Hazan, accompagnent Sabine Atlaoui rendre visite à son époux, qu'elle n'a pas vu depuis deux ans. Suivez leur parcours jusqu'à l'île-prison de Nuzakamba-Ngan, isolée et sous haute surveillance, à travers le récit photographique d'Alain Morvan.

11 novembre 2019

« Près de 4 h pour accéder enfin à la prison de Serge. Et à peine 1h30 d’entrevue. Être visiteur de l’Alcatraz indonésien où Serge Atlaoui est incarcéré depuis 14 ans jour pour jour tient du parcours du combattant. Vérifications ubuesques, attente injustifiée, tout ici respire la gabegie administrative. La prison au paradis, puisque oui, nous sommes sur une île où le vert de la forêt est extravagant, où la mer est parfaite sous le ciel bleu. S’il n’y avait pas ces barbelés, ces hommes en armes, ces sept prisons réunies au sein d’un complexe pénitentiaire unique au monde, on pourrait presque s’y tromper. La piscine de l’hôtel ajoute au décalage lorsque nous rentrons en début d’après-midi.

Serge? Il était souriant, en forme compte tenu des conditions précaires dans lesquelles il subsiste à Lapas Kembang Kuning (420 prisonniers), un centre de détention de "moyenne sécurité", qui déconcerte avec ses cellules vieillottes, son aire de jeu pour les enfants des détenus qui jouent entre les grilles, son décor de parc d’attractions des années 70. Tout s’arrête à l’heure de la prière dans cette prison peuplée d’une majorité de musulmans et de quelques étrangers (une dizaine dont Serge, un Américain et un Bulgare). Nous retournons le voir demain avec des vêtements, des victuailles et aussi des médicaments. Dès 7h30, nous serons à l’embarcadère de Nusakambangan, la prison au paradis. »

12 novembre 2019

« Deuxième (et déjà dernier) jour à Nusakambangan, dans la prison indonésienne où Serge Atlaoui est détenu depuis 14 ans. Et contrairement à la première visite de lundi, tout s’est bien passé pour entrer dams l’Alcatraz du sud-est asiatique. Moins de 2h de formalités (contre 4h la veille), plus de temps pour Sabine et Serge dans l’espace visiteur de Kembang Kuning, moins de stress.

Aussi étrange que cela puisse paraître, l’univers carcéral dans ce complexe pénitentiaire hallucinant était moins lourd qu’hier, moins oppressant. Les fouilles réglementaires, le trajet dans un rafiot antédiluvien et son moteur qui relâche un épais nuageux de fumée, le bus qui cahote sur une route dont l’asphalte n’est plus qu’un lointain souvenir: tout fut plus simple ce matin. Vers 8h, les épouses, sœurs, mères, enfants des détenus retenus ici pour trafic de drogue, crimes graves et terrorisme, sont moins nombreuses que la veille. L’entrée du sas qui interdit l’accès à l’île-prison ressemble à l’arrière-boutique d’un mix de general store et de souk avec paquets et cartons colorés, gâteaux et plats exotiques enveloppés de plastique, vêtements qui débordent de sacs transparents. Les gardes vérifient tout avec une célérité à géométrie variable mais sont respectueux ce matin. Des fillettes en tchador jouent sur la dalle de béton comme dans une cour de récré. De la musique monte des smartphones des jeunes visiteuses qui trompent l’attente en discutant de tout et de rien. Les unes réajustent leur maquillage quand les autres rectifient leur voile intégral. Ici, 90 % des prisonniers sont musulmans dans cette nation-phare de l’islam en Asie.

Il est 13h quand les portes du pénitencier se referment sur Serge. Nous repartons vers Jakarta pour rejoindre l’Europe après une rencontre demain avec les autorités diplomatiques françaises sur place. Le chemin est encore long avant que la situation de Serge ne s’éclaircisse un peu. Mais nous repartons avec le sentiment d’avoir d’interrompu son isolement pendant quelques heures. Sabine, qui ne l’avait pas vu depuis deux ans, revient un peu revigorée de cet aller-retour rapide entre France et Indonésie. "Le combat continue", lâche-t-elle à la sortie. »

Depuis 2008, ECPM soutient Serge Atlaoui et tous les condamnés à mort en Indonésie.

Textes et photos © Alain Morvan