Zainab Malik de Justice Project Pakistan : « être un pont entre les gens qui sont exécutés et le public »
28 février 2017
À l’occasion du 6e Congrès mondial contre la peine de mort, nous avons rencontré Zainab Malik. Avocate et directrice du plaidoyer pour l’ONG Justice Project Pakistan, elle a accepté de nous éclairer sur l’utilisation de la peine capitale dans son pays, et esquissé des réponses quant à la délicate sensibilisation du public.
Qu’en est-il de l’utilisation de la peine de mort au Pakistan ?
Le Pakistan a été sous moratoire pendant 7 ans. Sur cette période, la population dans les couloirs de la mort a augmenté pour atteindre 8 264 personnes. En décembre 2014, il y a eu une attaque terroriste sur l’école publique de Peshawar. 134 enfants sont morts. Cet événement tragique a installé une atmosphère de peur et de colère dans l’opinion publique et en réponse à cela, le gouvernement a suspendu le moratoire sur la peine de mort et a recommencé à exécuter. Depuis décembre 2014, il y a eu 404 exécutions au Pakistan, ce qui fait de mon pays le 3e exécuteur le plus prolifique au monde. C’est un véritable problème.
Pourquoi le gouvernement a-t-il répondu à l’attaque de Peshawar par la reprise des exécutions ?
Je pense qu’il s’agit vraiment d’une démonstration de force. Ils voulaient montrer à quel point ils étaient forts à ce moment-là, faire quelque chose de concret. C’était la seule chose, je veux dire la chose la plus concrète, à laquelle ils pouvaient penser. Et bien sûr, comme nous le savons tous, il n’y a aucun lien. Les attaques terroristes et la criminalité n’ont pas baissé au Pakistan, et même avant que le moratoire ne soit instauré il n’y avait pas de lien entre le nombre d’exécutions et le nombre de crimes commis.
Est-ce que le Pakistan utilise des lois et des instances juridiques spécifiques contre le terrorisme ?
Il y a une loi anti-terrorisme mais elle est très problématique. Dans le texte, le terrorisme est défini comme « tout ce qui frappe la peur dans le cœur des gens ». Avec cette définition, nous avons des cas de gens qui n’ont pas commis de véritables crimes liés au terrorisme mais qui sont condamnés par cette loi. Nous suivons par exemple un détenu qui a été condamné pour terrorisme après avoir kidnappé un enfant. Le juge a considéré que si l’on kidnappe un enfant, tout le monde aura peur que leur enfant soit kidnappé, et qu’il s’agit donc de terrorisme. L’intérêt de cette loi, pour les juges, c’est qu’elle permet des procès expéditifs qui doivent être terminés au bout de 3 mois seulement. Cela facilite leur travail. De plus, il y a moins de garde-fou en terme de procédures. Par exemple une confession donnée sous détention auprès de la police est considérée comme une preuve alors que sous la loi normale cette confession doit être faite devant le juge. La police dispose donc d’un nouvel outil pour torturer, extorquer des aveux et faire condamner plus facilement.
Pouvez-vous nous décrire les actions que vous menez avec votre organisation, Justice Project Pakistan ?
Premièrement, nous apportons une assistance légale et conduisons des opérations de plaidoyer pour les prisonniers les plus vulnérables qui encourent les peines les plus dures au Pakistan. Nous venons en aide, surtout juridiquement, aux prisonniers pour lesquels l’exécution est imminente. Nous utilisons des cas individuels pour militer pour une réforme plus large du système de justice pénale. L’un des prisonniers que nous suivons, par exemple, souffre de maladie mentale. Nous utilisons son cas non seulement pour contester son exécution imminente, mais aussi pour pousser le pays à appliquer des garanties limitant les exécutions sur les prisonniers souffrant de maladie mentale, pour qu’ils aient des centres de détention appropriés, un suivi médical… Nous avons assistons aussi beaucoup de délinquants juvéniles, qui ont commis un crime quand ils étaient encore mineurs. Même si le Pakistan a une loi qui interdit l’exécution des personnes avant l’âge de 18 ans, il n’y a aucun garde-fou pour s’assurer que les gens ne soient pas jugés et condamnés une fois majeurs. Les gens n’ont pas de certificat de naissance, ni aucun autre document indiquant leur âge. Les délinquants juvéniles sont donc fréquemment exécutés. Un exemple particulièrement triste : Aftab Bahadur a été arrêté quand il avait 15 ans, et il a passé 23 ans derrière les barreaux avant d’être exécuté malgré une rétractation du seul témoin au dernier moment. Cette histoire nous a vraiment beaucoup marqués. Cela nous pousse à continuer à travailler.
Comment menez-vous vos actions de plaidoyer contre la peine de mort ?
Nous comprenons que venir en aide aux gens en prison n’est pas la seule solution pour atteindre l’abolition de la peine de mort dans le pays. Nous essayons également de changer l’opinion publique et de contrer les mises en récit, très fortes, que l’État développe pour légitimer la peine de mort. Dans l’esprit du public, la peine de mort est la seule façon de contrer le terrorisme. Donc notre travail consiste à les informer sur le fait que la peine de mort n’est pas un outil efficace. Pour ce faire, nous mettons en lumière les histoires des détenus, notamment ceux qui encourent une exécution imminente. Nous donnons une image plus humaine de ces personnes notamment à travers leurs familles et leurs parcours de vie. Dans le cadre de notre campagne « Qui exécutons-nous ? », nous utilisons ces histoires individuelles pour montrer que les personnes que nous exécutons sont en fait les victimes d’un système injuste. Soit ils ont été torturés, soit ils n’ont pas eu accès à un avocat, soit ils sont mineurs, malades mentaux… L’un des condamnés que nous suivons, Abdul Basit, a développé des tubercules en prison et, à cause de la négligence du personnel de la prison, il est tombé dans le coma pendant une semaine. Le médecin l’a laissé pour mort. Aujourd’hui, ce prisonnier est paralysé et l’État souhaite toujours son exécution. À quatre reprises, une date a été fixée. Le problème, c’est que la seule méthode d’exécution disponible au Pakistan est la pendaison. Pour que cette pendaison soit « humaine », le condamné doit se tenir debout, monter l’échafaud et être mesuré. Comment pendre quelqu’un dans un fauteuil roulant ?
Vous parlez beaucoup de mise en récit, d’histoires… est-ce que d’après vous il est important de passer par la narration pour sensibiliser ?
Absolument. De nombreux pays rétentionnistes, en particulier le Pakistan, sont habitués à défendre la peine de mort en arguant que c’est le peuple qui la réclame. Mais le peuple la réclame parce qu’il ne sait pas qui est exécuté. Le pouvoir leur dit que les cibles de la peine de mort sont les terroristes de l’attaque de Peshawar, et les gens le croient. Ils ne réalisent pas que les 400 personnes qui sont victimes des exécutions sont des gens normaux comme vous et moi. Donc nous leur apportons l’information et nous les laissons se faire leur opinion. Est-ce que ces gens méritent d’être exécutés ? Une fois que les gens entendent les histoires, voient les souffrances des victimes dans notre système juridique, leur réponse devient négative. Nous diffusons également des histoires sur les familles et les proches des condamnés à mort. La présence de ces visages dans la campagne a beaucoup d’impact. Cela permet de montrer au public qu’il n’y a pas que le condamné qui souffre mais aussi les enfants, les épouses, les parents… Souvent, pour résumer, nous disons que nous défendons les gens autant dans les tribunaux que dans le débat public. Et ça marche.
Nous utilisons aussi le théâtre et d’autres modes d’expression artistiques, et ça marche extrêmement bien auprès du public. Nous organisons des expositions artistiques par exemple. L’une d’entre elles est itinérante. Nous avons parcouru le pays pour montrer aux gens des œuvres et des lettres réalisées par des condamnés à mort, pour aider le public à se rapprocher de la réalité de ces condamnés. Nous créons ainsi un niveau élevé d’empathie, ce qui a fait la différence pour beaucoup de gens. Nous avons aussi organisé une grande pièce de théâtre intitulée « Lorelei » avec des actrices très connues au Pakistan, ce qui a attiré un large public. Avant et après la pièce, nous organisions un sondage auprès des spectateurs sur la peine de mort. Nous avons constaté un vrai changement d’opinion.
Le gouvernement prétend qu’il y a un soutien de l’opinion publique la peine de mort, mais c’est faux. Les gens n’en savent simplement pas assez. Le gouvernement légitime la peine capitale en la présentant comme un acte de force et de fermeté, en jouant sur la peur du terrorisme. Notre travail consiste à être un pont entre les gens qui sont exécutés et le public pour faire en sorte qu’il y ait un changement dans l’opinion.
Quel est votre sentiment sur l’avenir de l’utilisation de la peine de mort au Pakistan ?
Difficile à dire. Il y a indéniablement beaucoup de peur chez les gens, et politiquement, le gouvernement ne semble pas avoir l’intention d’abolir la peine de mort, malgré toutes les violations des droits de l’homme qui sont commises. D’après moi, le plus important reste la pression internationale, le fait de rappeler au Pakistan ses obligations en matière de droits de l’homme. Le pays va bientôt faire son examen périodique universel devant les Nations Unies. Ce sont de bonnes opportunités pour que la communauté internationale évoque la question de la peine de mort. Il faut continuer à mettre en lumière les défaillances du système pénal pakistanais et à montrer à quel point le traitement des condamnés à mort est injuste.